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« Le degré de spiritualité n'a rien à voir avec ce en quoi vous croyez, mais tout à voir avec votre état de conscience. » Eckhart TOLLE
L'euthanasie active : un dilemme cornélien
Le texte ci-dessous est extrait du site Images et Mots. Il s'agit du sixième épisode duPodcast : Bâtissons un futur enchanté. Nous n’étudierons ici que le cas de l’euthanasie active, qui consiste à provoquer le décès de façon directe. L’euthanasie passive, fondée sur la cessation d’une réanimation ou d’une obstination thérapeutique, est tolérée depuis longtemps, n’est pas réprimée ou condamnée, et ne pose pas les mêmes problèmes éthiques. L’évolution actuelle des législations est orientée vers un élargissement inéluctable des possibilités d’utiliser l’euthanasie active. Cet article sera divisé en deux parties :
→ Dans la première, nous essaierons d’observer les diverses conséquences ainsi que les buts engendrés par la dépénalisation de l’euthanasie active. → Dans la seconde, nous vous proposerons d’examiner les répercussions de ces actes sur l’évolution spirituelle des personnes qui en useront.
1/ En avril 2021, alors que toute la population était obnubilée par le troisième confinement et par les errements du plan vaccinal gouvernemental, le débat sur l'euthanasie se ravivait à l'occasion du dépôt d'un projet législatif effectué par le député Olivier Falorni. La loi Léonetti promulguée en 2005, relative aux droits des personnes en fin de vie, et interdisant l'acharnement thérapeutique mais aussi l'euthanasie dite active, paraissait en effet nettement insuffisante à celles et ceux qui souhaitaient une avancée plus franche vers l'autorisation de mettre un terme à la vie de manière directe dans certaines circonstances codifiées.
Tout le monde se souvient de l'affaire Vincent Lambert qui, durant presque une décennie, a divisé et meurtri la famille de cet homme plongé dans un état végétatif chronique à la suite d'un accident survenu le 29 septembre 2008. Certains désiraient une cessation des soins qui le maintenaient en vie, tandis que d'autres insistaient pour que ceux-ci soient administrés coûte que coûte. Ce n'est qu'en juillet 2019, après de multiples rebondissements judiciaires et politiques, que l'arrêt des appareils a été effectué.
Il est évident que cette bataille juridique, mais surtout intrafamiliale, est l'exemple même de ce qui doit être évité à l'avenir. La douleur de voir un membre de sa famille emmuré dans un état inconscient jugé définitif est décuplée par les déchirures internes entre ses proches, ce qui est intolérable. Dans un système législatif tel que le voudraient les personnes favorables à l'euthanasie active, la situation idéale, si l'on peut dire, aurait pu être celle-ci : Vincent Lambert se serait prononcé en toute conscience pour le choix d'une interruption médicale de ses fonctions vitales, dans le cas où une maladie, voire un accident, le placeraient dans un état incurable. Une fois le drame survenu, les médecins, convaincus que l'état d'éveil non-répondant du blessé serait irréversible, auraient pris leur décision sans que les membres de la famille puissent intervenir.
Mais cette situation est très théorique, et deux questions majeures se posent :
→ La première concerne le choix opéré par le sujet, qu'il s'agisse d'un accord ou d'un refus. C'est actuellement le cas pour les dons d'organe post mortem, par exemple. Mais en ce qui concerne l'euthanasie, le contexte est très différent. Il peut exister un fossé insondable entre, d’une part, les recommandations données alors que nous sommes en parfaite santé, incapables de conscientiser la réaction que nous aurions dans le cas où notre état se dégraderait de manière radicale, et d’autre part, le souhait ou la décision qui seraient les nôtres au moment où nous serions plongés dans le drame lui-même. De plus, la personne condamnée par sa maladie ou son handicap est forcément en état de fragilité psychologique majeure. Est-elle vraiment en état d’opérer un choix éclairé dans une telle situation ? Il est très difficile de répondre à cette question d’une façon claire et franche.
→ La seconde interrogation est étroitement liée à la première et concerne le diagnostic lui-même. Les avancées permanentes de la chirurgie, de la robotique, des neuroprothèses, rendront de plus en plus difficile, dans l'avenir, d'afficher la certitude que le malade ne sortira jamais de sa tétraplégie, de son coma ou de son état végétatif. Sans oublier le fait que la souffrance physique, souvent invoquée dans certaines argumentations, est de nos jours combattue efficacement dans la majorité des cas. De plus, pour le médecin se pose le dilemme terrible de passer des soins palliatifs, qui sont conformes à l’éthique du thérapeute qu’il est par nature, au geste mortel qui est à l’opposé de sa mission fondamentale.
Les arguments de ceux qui sont favorables à la légalisation de l'euthanasie active, ainsi que ceux des opposants, sont facilement accessibles sur Internet. Vous trouverez ci-dessous une courte liste de différents articles :
→ Il faut dépénaliser l'euthanasie : voici pourquoi (site : CAIRN.INFO) → Non à la législation de l'euthanasie (JALMALV) → Pour ou contre l'euthanasie (TECHNOSCIENCE.NET) → Arguments contre l'euthanasie (VIVRE DANS LA DIGNITÉ) → En 2018, 175 associations de bénévoles en soins palliatifs ont donné douze raisons de dire NON à l’euthanasie. On les trouve sur le site : laviepaslamort.fr. → Enfin, le chapitre 7 du Projet Muse fournit beaucoup de données sur l’historique et les débats concernant l’euthanasie.
Lors de la mission d’information sénatoriale de 2023, Bernard-Marie Dupont, médecin hématologue, juriste et professeur d’éthique médicale a émis un avis tranché. J’affirme qu’il ne faut pas légaliser, ni dépénaliser l’euthanasie. Il n’y a pas de droit à sens unique. Il n’y a pas un droit d’exiger de nous soignants, qu’on donne la mort parce que le patient aurait décidé de mourir. Il a plaidé pour maintenir : l’interdit fondamental de donner la mort pour des raisons médicales.
Il ne faut pas non plus omettre les prises de position de divers intellectuels et philosophes. Le philosophe André Comte-Sponville estime pour sa part que le droit au suicide fait partie des droits de l’Homme. Michel Onfray, de son côté, a aidé sa compagne dans son désir de mettre fin à ses jours. A contrario, Michel Houellebecq a déclaré : une civilisation qui légalise l’euthanasie perd tout droit au respect.
Il est évident que le sujet divise les consciences de manière très profonde. La personne qui lit en détail les arguments des deux camps se rend vite compte que la subjectivité est totale, que le ressenti intime de chaque intervenant est le ciment qui permet la construction d'une justification radicalement personnelle. Un exemple évident réside dans l'utilisation du mot dignité.
Dans le premier article cité, (CAIRN.INFO), favorable à la dépénalisation, nous trouvons cette phrase : ce droit à une mort digne, qui est purement subjectif, devrait être reconnu afin que chacun puisse disposer de la liberté de déterminer la qualité de fin de vie qu’il souhaite, en fonction de ses capacités vitales et de l’intensité de ses souffrances.
Dans l'article de VIVRE DANS LA DIGNITÉ, opposé à la dépénalisation, nous pouvons lire : l'euthanasie est en contradiction avec les exigences de dignité et de véritable compassion qui sont au cœur de la médecine.
Par ce seul exemple simple, il apparaît évident que le même mot, en l’occurrence dignité, est utilisé par les deux camps dans des visions radicalement opposées. Ce qui est normal puisque chacun y incorpore sa conception de la manière dont doivent être conduites la vie et la mort.
Notre but n'est pas ici de discuter du bien-fondé des arguments thérapeutiques ou des dérives qui seraient susceptibles de se produire en cas de légalisation. Ces approches du problème relèvent des domaines spécialisés du droit et de la médecine. En revanche, il semble intéressant, voire indispensable, de se pencher sur la signification profonde de l'euthanasie active, pour le simple mais capital motif que celle-ci est en relation directe avec la pulsion de vie qui conduit à l'incarnation de chaque membre de la famille humaine.
Au-delà des soulagements apportés aux malades condamnés par la médecine, essayons d’examiner les buts cachés, et moins philanthropiques, qui peuvent conduire les législateurs à dépénaliser l’euthanasie active.
→ Force est de constater que le premier peut être l’argent. Il est indéniable que les soins palliatifs coûtent cher. Lorsqu’une personne comme Vincent Lambert en bénéficie durant dix ans, il est facile d’imaginer le montant élevé de cette survie. Alors que l’hôpital public est en décrépitude continue depuis des décennies, n’est-il pas tentant de prétexter une compassion altruiste pour justifier l’euthanasie de ce type de malade ?
Le cas du Canada est édifiant. Le journal Le Point rapporte que l’euthanasie, légalisée en 2016, a vu depuis ses conditions d’application très élargies. En 2019, son taux d’utilisation était de 2%. En 2022, il est passé à 4,1%, avec des pointes à 6,6% au Québec. Un rapport parlementaire revendiquait un gain net de 87 millions de dollars canadiens obtenu grâce à l’euthanasie. Selon une étude parue dans le Canadian Family Physician, moins de la moitié des patients ayant eu recours à l’euthanasie avaient vu une équipe de soins palliatifs. En 2024, un Canadien sur vingt a recours à l’euthanasie, ce qui est énorme et inquiétant. Autant dire que les personnes les plus vulnérables sont des proies faciles pour ce genre de bénéfice financier abject. N’oublions pas que tout patient peut légalement demander l’arrêt d’un acharnement thérapeutique, sans pour autant recourir à une euthanasie active.
→ Un deuxième but potentiel à prendre en compte concerne le souhait de certaines élites de voir la popula-tion diminuer. Comme l’a dit Yuval Noah Harari, l’avenir verra la population mondiale renfermer une proportion importante d’inutiles. De toute manière, qu’il y ait ou non un désir caché de provoquer la diminution de la population, toutes les prospectives prévoient une diminution de celle-ci, ne serait-ce que par la conjonction du vieillissement et de la baisse de la natalité, effective sur tous les continents, hormis l’Afrique, où la moyenne est toujours supérieure à quatre enfants par femme.
→ Un autre point à ne pas négliger concerne la possibilité de maquiller des meurtres en euthanasie. Au Brésil, où celle-ci est illégale, un médecin a été accusé de sept meurtres sur des patients en soins intensifs. L’enquête, en cours, le soupçonne d’en avoir commis trois cents autres.
2/ Dans la seconde partie de cet exposé, nous nous adressons surtout aux personnes qui partagent une certaine conception de la vie et de la mort. Mais toutes celles qui voient l'existence à travers un prisme différent, voire opposé, pourront peut-être retirer quelques réflexions utiles des développements qui sont proposés à la réflexion de chacun.
La vague de Vie qui donne naissance à l'humanité, mais aussi à toutes les formes que nous connaissons, est permanente et indestructible. En revanche, les expressions matérielles de cette vie sont périssables. C'est une loi immuable de la nature, indispensable à l'évolution physique des créatures, mais qui dérange profondément les humains que nous sommes. Dans notre pulsion profonde de contrôle et de survivance forcenés, nous tentons tout ce qui est en notre pouvoir pour permettre à ce véhicule temporaire de durer le plus longtemps possible et cela dans un état de conservation optimal. C'est la raison pour laquelle Google dépense des milliards pour tenter de contrer une issue fatale, pourtant salvatrice et inéluctable.
Mais, à côté de ce désir d'éternité, nous ne supportons pas la dégradation du corps qui nous serait imposée par une fatalité (maladie ou accident) sur laquelle nous n'avons aucun pouvoir. Il y a deux raisons à cela.
→ La première est que l'impuissance nous est insupportable.
→ La seconde, plus profonde, est que nous n'avons pas conscience du fait que les épreuves physiques qui se présentent sur notre chemin possèdent une raison d'être précise. Sur ce point, nous touchons à la conception même de l'expression vitale. Prenons l'exemple du décès accidentel d'un jeune adulte, ou, pire encore, d’un enfant. Au-delà de la souffrance naturelle inévitable de ses proches, du sentiment d'injustice qui se présente spontanément à l'esprit, deux perceptions opposées de l'évènement peuvent voir le jour dans la psyché de ceux-ci, lorsque la douleur commence à s'estomper :
→ La première consiste à penser : c'est un hasard, un coup du sort, le drame aurait pu tout aussi bien arriver à mon voisin.
→ La seconde s’exprime de façon radicalement différente : il y a une raison profonde, a priori imperceptible, mais susceptible d'être découverte, qui est la cause de cette tragédie, et qui appartient en propre à cette personne décédée.
La personne qui adhère à la première assertion ne se posera aucune question et ne recherchera pas d'explication. Sans doute dirigera-t-elle sa colère contre l'individu ou l’évènement qui a provoqué le décès, voire contre Dieu lui-même.
Celui ou celle qui privilégie la seconde hypothèse se mettra en quête de la cause sous-jacente et, si elle la trouve, ce qui est probable étant donné que de nombreuses techniques sont capables d'explorer les mémoires ancestrales, sa mise en lumière lui permettra de comprendre que tout évènement a un sens profond et initiatique, et que le hasard n'y a aucune place. Nous étudierons ce sujet dans un prochain épisode du podcast.
Pourquoi avoir abordé le problème de l'euthanasie à travers ce biais ? Parce que nous touchons de cette manière à l'impulsion animique qui est à la source de nos incarnations. De deux choses l'une :
→ soit chacune de nos vies est une production unique, provisoire, qui sort d'on ne sait où pour se diriger vers un inconnu insondable, sans aucune justification qui soit connaissable par notre cerveau.
→ soit chacune de nos vies est la suite d'une précédente incarnation, manifestant les effets de causes anciennes engendrées en leur temps par nos actions, mais voilées et oubliées lors de notre existence présente. Dans cette hypothèse, il est concevable de faire intervenir une forme subtile, qu'on peut nommer : âme, conscience, esprit... Celle-ci utilise les formes temporaires physiques que nous connaissons afin que soit exprimée sa perfection d'une manière de plus en plus subtile et parfaite au fil des âges.
Dans cette seconde vision de l'incarnation humaine, la mort se présente sous une image particulière, très différente de celle qui est communément acceptée et qui nous effraie depuis la nuit des temps. Elle n'est plus le monstre froid, insensible et redoutable qui nous conduit vers un néant terrifiant, mais un simple changement d'état de conscience entre deux manifestations physiques. Et, dans cette conception, la qualité de ce moment de transition revêt une importance primordiale. Toutes les personnes qui accompagnent les malades en fin de vie sont conscients de cela.
Dès lors, cette qualité qui enveloppe le dernier souffle est intimement dépendante du contexte dans lequel il survient. Le passage vers l'au-delà et l'état de conscience de la personne décédée seront très différents en fonction des circonstances. L'être qui s'est ouvert durant sa vie à la spiritualité et qui a eu le temps de se préparer à sa transition ne conscientisera pas celle-ci de la même façon que le matérialiste pur et dur, victime d'un accident brutal. Une situation extrême retient particulièrement l'attention. Celle des personnes qui se suicident. Cet acte met fin brutalement à une expérience de vie et, de ce fait, supprime les expérimentations choisies et programmées par l'âme en tant que conséquences de telles ou telles actions accomplies jadis. Or l'âme est immortelle et sa finalité est de se fondre dans des corps physiques de plus en plus conscients de sa présence permanente. Un suicide n'est donc, dans la majorité des cas, qu'un essai raté de perfectionnement, et ne fait que retarder les expériences inéluctables dont la personnalité physique a besoin afin de grandir en conscience.
Pour les personnes qui admettent comme possible cette conception de la Vie, une question fondamentale se pose alors :
→ Qu'en est-il pour l'euthanasie active ?
En effet, un constat est indéniable. Quelles que soient les justifications fournies par la science ou par le contexte dans lequel se déroule le drame, l'euthanasie active, voulue par le malade, est une forme de suicide par procuration. Elle a pour but de refuser une situation présentée par la Vie sur notre chemin. Certes, les motivations peuvent être légitimes, par exemple des souffrances intolérables, voire revêtir une apparence altruiste, lorsque la personne incurable refuse de faire supporter une longue agonie à ses proches. Mais, pour celle ou celui qui a une vision mystique de la Vie, se pose tout de même la question fondamentale de savoir si cette demande d'interruption de l'existence n'est pas nuisible à son évolution spirituelle.
Nous n'avons bien sûr pas la prétention d'apporter une réponse à un tel questionnement, qui relève de l'intime de chacun. Si l'on considère comme vraisemblable le fait que tous les évènements se présentant sur notre chemin sont des manuels d'enseignements destinés à nous faire grandir, il en est forcément de même si une situation extrême nous place dans un état incurable ou végétatif. Dans cette hypothèse, que la position sur une éventuelle euthanasie ait été donnée antérieurement, ou qu'aucune consigne n'ait été laissée, le problème est toujours présent si le malade est inconscient. Car nul ne peut savoir si la décision exprimée jadis par la personne dans un environnement normal serait confirmée, une fois celle-ci confrontée à des conditions exceptionnelles. Le choix n'est pas plus facile pour celui qui a conservé ses facultés mentales, écartelé qu'il peut être entre le refus d'un état totalement dégradé et la hantise d'un saut dans l'inconnu, surtout si se superpose à ce dilemme le questionnement spirituel que nous avons évoqué ci-dessus.
Si le problème de conscience et l'éventualité de conséquences karmiques se posent inévitablement pour le malade, ils se présentent de manière encore plus aiguë chez le médecin dont la mission est de ne jamais nuire à son patient, mais qui, en l'occurrence, va se voir confier la tâche de mettre fin de manière active à la vie de ce-lui-ci.
Il est évident que la prise en compte de cet élément spirituel complique encore un peu plus des prises de décisions déjà particulièrement difficiles lorsqu'on ne considère que les données purement physiques et législatives. Mais il nous a semblé utile d'inclure dans la réflexion une telle dimension, presque toujours passée sous silence, à laquelle un certain nombre de personnes seront sensibles.
Il n'en demeure pas moins que nous ne devons jamais perdre de vue le fait que nulle action humaine ne peut anéantir la Vie. Elle est juste capable de faire disparaître du monde physique une de ses manifestations, temporaire et limitée. Quelles que soient les législations en vigueur, seule la conscience animique de chaque être humain est à même d'apprécier la justification de cette suppression existentielle et d'en assumer éventuellement les conséquences appropriées dans ses futures incarnations.
13/04/2021
Bernard SELLIER
Euthanasie active : un dilemme cornélien, texte de Bernard Sellier