Euthanasie active : un dilemme cornélien, texte de Bernard Sellier

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«Le degré de spiritualité n'a rien à voir avec ce en quoi vous croyez,  mais tout à voir avec votre état de conscience.»   Eckhart TOLLE 

 
L'euthanasie active : un dilemme cornélien
                                             

   Le texte ci-dessous est extrait du site Images et Mots                                                                      

  En ce mois d'avril 2021, alors que toute la population est obnubilée par le troisième confinement et par les errements du plan vaccinal gouvernemental, le débat sur l'euthanasie se ravive à l'occasion du dépôt d'un projet législatif effectué par le député Olivier Falorni. La «Loi Léonetti» promulguée en 2005, relative aux droits des personnes en fin de vie, et interdisant l'acharnement thérapeutique mais aussi l'euthanasie «active», paraît en effet nettement insuffisante à celles et ceux qui souhaitent une avancée plus franche vers l'autorisation de mettre un terme à la vie de manière active dans certaines circonstances codifiées. 

   Tout le monde se souvient de «l'affaire Vincent Lambert» qui, durant presque une décennie, a divisé et meurtri la famille de cet homme plongé dans un état végétatif chronique à la suite d'un accident survenu le 29 septembre 2008. Certains désiraient une cessation des soins qui le maintenaient en vie, tandis que d'autres insistaient pour que ceux-ci soient administrés coûte que coûte. Ce n'est qu'en juillet 2019, après de multiples rebondissements judiciaires et politiques, que l'arrêt des appareils a été effectué.

    Il est évident que cette bataille juridique, mais surtout intrafamiliale, est l'exemple même de ce qui doit être évité à l'avenir. La douleur de voir un membre de sa famille emmuré dans un état inconscient jugé définitif est décuplée par les déchirures internes entre ses proches, ce qui est intolérable. Dans un système législatif tel que le voudraient les personnes favorables à l'euthanasie active, la situation «idéale», si l'on peut dire, aurait pu être celle-ci : Vincent Lambert se serait prononcé en toute conscience «pour» le choix d'une  interruption médicale de ses fonctions vitales, dans le cas où une maladie, voire un accident, le placeraient dans un état incurable. Une fois le drame survenu, les médecins, convaincus que l'état «d'éveil non-répondant» du blessé était irréversible, auraient pris leur décision sans que les membres de la famille puissent intervenir.

    Mais cette situation est très théorique, et deux questions majeures se posent : 

    >> La première concerne le choix opéré par le sujet, qu'il s'agisse d'un accord  ou d'un refus. C'est actuellement le cas pour les dons d'organe post mortem, par exemple. Mais en ce qui concerne l'euthanasie, le contexte est très différent. Il peut exister un fossé insondable entre les recommandations données alors que nous sommes en parfaite santé, incapables de conscientiser la réaction que nous aurions dans le cas où notre état se dégraderait de manière radicale, et le souhait ou la décision qui seraient les nôtres au moment où nous serions plongés dans le drame lui-même. 

    >> La seconde question est étroitement liée à la première et concerne le diagnostic lui-même. Les avancées permanentes de la chirurgie, de la domotique, des neuroprothèses,  rendront de plus en plus difficile, dans l'avenir, d'afficher la certitude que le malade ne sortira jamais de sa tétraplégie, de son coma ou de son état végétatif. Sans oublier le fait que la souffrance physique, souvent invoquée dans certaines argumentations, est de nos jours combattue efficacement dans la majorité des cas.

    Les arguments de ceux qui sont favorables à la légalisation de l'euthanasie active et  des opposants sont facilement accessibles sur Internet. Vous trouverez ci-dessous une courte liste de différents articles :

    >> Il faut dépénaliser l'euthanasie : voici pourquoi (CAIR.INFO)

    >> Non à la législation de l'euthanasie (JALMALV)

    >> Pour ou contre l'euthanasie (TECHNOSCIENCE.NET)

    >> Arguments contre l'euthanasie (VIVRE DANS LA DIGNITÉ) 
 
   Sans omettre les prises de position de divers intellectuels et philosophes. Par exemple, celle de Michel Onfray, qui a aidé sa compagne dans son désir de mettre fin à ses jours, ou a contrario celle de Michel Houellebecq qui déclare : «Une civilisation qui légalise l’euthanasie perd tout droit au respect». 

    La personne qui lit en détail les arguments des deux camps se rend vite compte que la subjectivité est totale, que le ressenti intime de chaque intervenant est le ciment qui permet la construction d'une justification radicalement personnelle. Un exemple évident réside dans l'utilisation du mot «dignité». 

  Dans le premier article cité, (CAIRN.INFO), favorable à la dépénalisation, nous trouvons cette phrase : «Ce droit à une mort digne, qui est purement subjectif, devrait être reconnu afin que chacun puisse disposer de la liberté de déterminer la qualité de fin de vie qu’il souhaite, en fonction de ses capacités vitales et de l’intensité de ses souffrances.»

   Dans l'article de VIVRE DANS LA DIGNITÉ, opposé à la dépénalisation, nous pouvons lire : «L'euthanasie est en contradiction avec les exigences de dignité et de véritable compassion qui sont au cœur de la médecine.»

    Par ce seul exemple simple, il apparaît évident que les mêmes mots sont utilisés par les deux camps dans des visions radicalement opposées. Ce qui est normal puisque chacun y incorpore sa conception de la manière dont doivent être conduites la vie et la mort. 

    Notre but n'est pas ici de discuter du bien-fondé des arguments thérapeutiques ou des dérives qui seraient susceptibles de se produire en cas de légalisation. Ces approches du problème relèvent des domaines spécialisés du droit et de la médecine. En revanche, il semble intéressant, voire indispensable, de se pencher sur la signification profonde de l'euthanasie active, pour le simple mais capital motif que celle-ci est en relation directe avec la pulsion de vie qui conduit à l'incarnation de chaque membre de la famille humaine.

    En examinant les points qui suivent, nous nous adressons surtout aux personnes qui partagent une certaine conception de la vie et de la mort. Mais toutes celles qui voient l'existence à travers un prisme différent, voire opposé, pourront peut-être retirer quelques réflexions utiles des développements qui sont proposés à la réflexion de chacun.

    La «vague de Vie» qui donne naissance à l'humanité, mais aussi à toutes les formes que nous connaissons, est permanente et indestructible. En revanche, les expressions matérielles de cette vie sont périssables. C'est une loi immuable de la nature, indispensable à l'évolution physique des créatures, mais qui dérange profondément les humains que nous sommes. Dans notre pulsion profonde de contrôle et de survivance forcenés, nous tentons tout ce qui est en notre pouvoir pour permettre à ce véhicule temporaire de durer le plus longtemps possible et cela dans un état de conservation optimal. C'est la raison pour laquelle Google dépense des milliards pour tenter de contrer une issue fatale pourtant salvatrice et inéluctable.

    Mais, à côté de ce désir d'éternité, nous ne supportons pas la dégradation du corps qui nous serait imposée par une fatalité (maladie ou accident) sur laquelle nous n'avons aucun pouvoir. Il y a deux raisons à cela.

   >> La première est que l'impuissance nous est insupportable.

   >> La seconde, plus profonde, est que nous n'avons pas conscience du fait que les épreuves physiques qui se présentent sur notre chemin possèdent une raison d'être précise. Sur ce point, nous touchons à la conception même de l'expression vitale.
        Prenons l'exemple du décès accidentel d'un conjoint jeune. Au-delà de la souffrance naturelle inévitable de ses proches, du sentiment d'injustice qui se présente spontanément à l'esprit, deux perceptions opposées de l'évènement peuvent voir le jour dans la psyché de ceux-ci, lorsque la douleur commence à s'estomper :
   
   >> C'est un hasard, un coup du sort, le drame aurait pu tout aussi bien arriver à mon voisin.

   >> Il y a une raison profonde, a priori imperceptible, mais susceptible d'être découverte, qui est la cause de cette tragédie, et qui appartient à cette
           individualité en propre. 

     La personne qui adhère à la première assertion ne se posera aucune question et ne recherchera pas d'explication. 

     Celui ou celle qui privilégie la seconde hypothèse se mettra en quête de la cause sous-jacente et, si elle la trouve, ce qui est probable étant donné que de nombreuses techniques sont capables d'explorer les mémoires ancestrales, sa mise en lumière lui permettra de comprendre que tout évènement a un sens profond et initiatique, et que le hasard n'y a aucune place.

    Pourquoi avoir abordé le problème de l'euthanasie à travers ce biais ? Parce que nous touchons de cette manière à l'impulsion animique qui est à la source de nos incarnations. De deux choses l'une :

    >> soit chacune de nos vies est une production unique, provisoire, qui sort d'on ne sait où pour se diriger vers un inconnu insondable, sans aucune justification qui soit connaissable par notre cerveau.

    >> soit chacune de nos vies est la suite d'une précédente incarnation, manifestant les effets de causes anciennes générées en leur temps par nos actions, mais voilées dans notre existence présente. Dans cette hypothèse, il est concevable de faire intervenir une forme subtile, qu'on peut nommer : âme, conscience, esprit... Celle-ci utilise les formes temporaires physiques que nous connaissons afin que soit exprimée sa perfection d'une manière de plus en plus subtile et parfaite au fil des âges.

    Dans cette seconde vision de l'incarnation humaine, la mort se présente sous une image particulière, très différente de celle qui est communément acceptée et qui nous effraie depuis la nuit des temps. Elle n'est plus le monstre froid, insensible et redoutable qui nous conduit vers un néant terrifiant, mais un simple changement d'état de conscience entre deux manifestations physiques. Et, dans cette conception, la qualité de ce moment de transition revêt une importance primordiale. Toutes les personnes qui accompagnent les malades en fin de vie sont conscients de cela.

    Dès lors, cette qualité qui enveloppe le dernier souffle est intimement dépendante du contexte dans lequel il survient. Le passage vers l'au-delà et l'état de conscience de la personne décédée seront très différents en fonction des circonstances. L'être qui s'est ouvert durant sa vie à la spiritualité et qui a eu le temps de se préparer à sa transition ne  conscientisera pas celle-ci de la même façon que le matérialiste pur et dur victime d'un accident brutal. Une situation extrême retient particulièrement l'attention. Celle des personnes qui se suicident. Cet acte met fin brutalement à une expérience de vie et, de ce fait, supprime les expérimentations choisies et programmées par l'âme en tant que conséquences de telles ou telles actions générées jadis. Or l'âme est immortelle et sa finalité est de se fondre dans des corps physiques de plus en plus conscients de sa présence permanente. Un suicide n'est donc, dans la majorité des cas, qu'un essai raté de perfectionnement et ne fait que retarder les expériences inéluctables dont la personnalité physique a besoin afin de grandir en conscience. 

    Pour les personnes qui admettent comme possible cette conception de la Vie, une question fondamentale se pose alors :

    >> Qu'en est-il pour l'euthanasie active ? 

    En effet, un constat est indéniable. Quelles que soient les justifications fournies par la science ou par le contexte dans lequel se déroule le drame, l'euthanasie active, voulue par le malade, est une forme de suicide. Elle a pour but de refuser une situation présentée par la Vie sur notre chemin. Certes, les motivations peuvent être légitimes, voire revêtir une apparence altruiste, lorsque la personne incurable refuse de faire supporter une longue agonie à ses proches. Mais, pour celle ou celui qui a une vision mystique de la Vie, se pose tout de même la question fondamentale de savoir si cette demande d'interruption de l'existence n'est pas nuisible à son évolution spirituelle.

   Nous n'avons bien sûr pas la prétention d'apporter une réponse à un tel questionnement, qui relève de l'intime de chacun. Si l'on considère comme vraisemblable le fait que tous les évènements se présentant sur notre chemin sont des manuels d'enseignements destinés à nous faire grandir, il en est forcément de même si une situation extrême nous place dans un état incurable ou végétatif. Dans cette éventualité, que la position sur une éventuelle euthanasie ait été donnée antérieurement, ou qu'aucune consigne n'ait été laissée, le problème est toujours présent si le malade est inconscient. Car nul ne peut savoir si la décision exprimée jadis par la personne serait confirmée, une fois celle-ci confrontée à des conditions exceptionnelles. Le choix n'est pas plus facile pour celui qui a conservé ses facultés mentales, écartelé qu'il peut être entre le refus d'un état totalement dégradé et la hantise d'un saut dans l'inconnu, surtout si se superpose à ce dilemme le questionnement spirituel que nous avons évoqué ci-dessus. 

    Si le problème de conscience et l'éventualité de conséquences karmiques se posent inévitablement pour le malade, ils se présentent de manière encore plus aiguë chez le médecin dont la mission est de ne jamais nuire à son patient, mais qui, en l'occurrence, va se voir confier la tâche de mettre fin de manière active à la vie de celui-ci. 

    Il est évident que la prise en compte de cet élément spirituel complique encore un peu plus des prises de décisions déjà particulièrement difficiles lorsqu'on ne considère que les données purement physiques et législatives. Mais il nous a semblé utile d'inclure dans la réflexion cette dimension, presque toujours passée sous silence, à laquelle un certain nombre de personnes seront sensibles.

   Il n'en demeure pas moins que nous ne devons jamais perdre de vue le fait que nulle action humaine ne peut anéantir la Vie. Elle est juste capable de faire disparaître du monde physique une de ses manifestations, temporaire et limitée. Quelles que soient les législations en vigueur, seule la conscience animique de chaque être humain est à même d'apprécier la justification de cette suppression existentielle et d'en assumer éventuellement les conséquences appropriées dans ses futures incarnations. 

   13/04/2021

   Bernard SELLIER