Angels in America, serie de Mike Nichols, commentaire

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Angels in America,
       Saison 1,     2003,  
 
de : Mike  Nichols..., 
 
  avec : Al Pacino, James Cromwell, Meryl Streep, Emma Thompson, Ben Shenkman, Mary Louise Parker, Michael Gambon, Patrick Wilson,
 
Musique : Thomas Newman


 
Ne pas lire avant d'avoir vu la série

 
1985. C'est le commencement de ce qui sera la future épidémie de Sida. Louis (Ben Shenkman) vient d'enterrer une grand-mère qu'il affectionnait, lorsqu'il apprend que son compagnon de vie, Prior Walter (Justin Kirk) est atteint par la maladie. De leur côté, Joe Pitt (Patrick Wilson) et sa femme Harper (Mary-Louise Parker) traversent une crise aiguë dans leur couple. Au cours d'une hallucination causée par les psychotropes qu'elle ingurgite, la jeune femme perçoit que son mari a probablement des tendances homosexuelles. De son côté, le tout puissant avocat Roy Cohn (Al Pacino) apprend de son médecin (James Cromwell) qu'il est atteint d'un syndrome de Kaposi... 
 
 Quelle que soit l'appréciation que l'on porte sur cette série particulièrement originale, un fait est indéniable : elle ne laissera sans doute personne indifférent, ne serait-ce que pour la multitude et la force des sujets qui sont abordés. Outre les thèmes universels et intemporels, du style : "qu'est-ce que l'amour authentique ?", "comment découvrir l'âme-soeur ?", "qu'est-ce que le péché ?"..., l'histoire de ces quelques êtres malades dans leurs corps et surtout dans leurs têtes explore un large panorama des innombrables nuages et orages qui secouent la société américaine. Racisme, homosexualité, corruption, anticommunisme, marginalisation, emprise de la religion... Si l'on ajoute à cela une culpabilisation de source judéo-chrétienne souvent puissante, et une angoisse terrifiante devant l'avenir, on ne s'étonnera guère que le mal-être intérieur de toute une génération se traduise dans le domaine physique. Mais cette richesse incontestable se double d'une approche narrative elle aussi très somptueuse, puissamment onirique, qui alterne scènes "ordinaires" de la vie quotidienne, avec leur lot de moments douloureux, et divagations hallucinatoires hautement fantaisistes, avec leur kyrielle de revenants en tous genres ou d'anges plus ou moins farfelus. Le spectateur plongé dans une séquence profondément poignante se verra propulsé, la minute d'après, dans un joyeux foutoir ésotérico-burlesque, dans lequel des fantômes improbables viennent jeter leur grain de sel dans la vie de leurs descendants. Ce va et vient permanent entre sombre réalité et délire hallucinatoire a le mérite de donner une aération bienvenue, mais ne sera peut-être pas du goût de chacun, d'autant plus que ces visites "célestes" sont parfois aussi longuettes que "nébuleuses".  
 
 Mais ce sont, à mon sens, deux autres écueils qui empêchent de ressentir un enthousiasme puissant pour cette série. Tout d'abord une diarrhée verbale qui vient régulièrement inonder le spectateur, d'une part constituée d'une foultitude de sujets dont un bon nombre échappe à l'esprit européen, d'autre part, surtout, éjectée avec une frénésie logorrhéique qui rend le discours fumeux et donne très rapidement le tournis. Deux options s'offrent alors : ou bien l'intérêt pour ces dissertations l'emporte et il est indispensable de se repasser plusieurs fois la séquence pour arriver à suivre le cheminement intellectuel tortueux des protagonistes ; ou bien l'épuisement l'emporte et la télécommande viendra secourir le spectateur pour survoler ces divagations mentales anarchiques. Le second écueil tient principalement à la "prestation" d'Al Pacino. Robert de Niro et lui nous ont habitué quelquefois à un cabotinage sympathique. Dans le cas présent, le "grand" Al se révèle quasiment insupportable dans le registre "pourri-mégalo-homo-sordide", où il en fait des tonnes. C'est d'autant plus regrettable que la grande majorité des autres personnages, de Patrick Wilson à Justin Kirk , en passant par Mary-Louise Parker ou Ben Shenkman, manifestent une intensité poignante. 
 
 C'est donc sans arrêt que nous sommes confrontés à une oscillation troublante, pénible, entre des instants inspirés, magiques, miraculeux de pudeur et d'authenticité (souvent grâce à Joe Pitt et à Louis), et des périodes carrément nauséeuses, étouffantes, qui ne donnent qu'une envie : passer au chapitre suivant. Mais la véritable puissance de l'œuvre se révèlera peut-être dans le fait que premiers moments écraseront en partie les seconds dans le souvenir. À vérifier dans quelques années...
   
Bernard Sellier