The Barber, film de Joël Coen, commentaire

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The barber,
      (The man who wasn't there),      2001, 
 
de : Joel  Coen, 
 
  avec : Frances McDormand, James Gandolfini, Billy Bob Thornton, Michael Badalucco, Richard Jenkins, Scarlett Johansson,
 
Musique : Ludwig van Beethoven, Carter Burwell


 
Ed Crane (Billy Bob Thornton), taciturne et quasiment muet, coupe à longueur d'années des cheveux dans le salon que tient son beau-frère logorrhéique Frank (Michael Badalucco). Sa femme, Doris (Frances McDormand), est comptable dans le grand magasin que tient "Big Dave" Brewster (James Gandolfini). Un jour Ed reçoit un client de Sacramento : Creighton Tolliver (Jon Polito), venu proposer une association à Big Dave, mais éconduit sans ménagement. Pourtant, aux dires du bonhomme, l'affaire se révèlera juteuse : créer une chaîne dans le nouveau domaine du nettoyage à sec ! Ed écoute et, petit à petit une idée germe en lui : persuadé que sa femme le trompe avec son patron, il envoie à celui-ci une lettre anonyme réclamant les 10 000 dollars nécessaires à l'investissement. S'il ne s'exécute pas, Ann Nirdlinger (Katherine Borowitz), l'épouse de Dave, sera mise au courant des infidélités de son conjoint. Or c'est elle qui possède le magasin. C'est le début d'un engrenage fatal... 
 
 Une petite ville mortifère, des personnages dépourvus d'avenir, de relief, de tonicité, qui croupissent dans leur médiocrité, sans avoir la force de secouer la chape plombée sous laquelle ils étouffent : tel est le point de départ de cette histoire, tournée dans un noir et blanc magnifique, qui sent bon les années cinquantes et l'atmosphère des romans noirs façon James Caïn ou James Hadley Chase. Joël Coen retrouve ici ses acteurs fétiches, Billy Bob Thornton, plus monolithique que jamais, allumant une cigarette chaque fois qu'il paraît dans une scène, intériorisé au point de paraître un zombie, et Frances McDormand, toujours aussi délectable dans son rôle de nunuche la plus craquante du cinéma.  
 
 Depuis le commencement, soutenu délicatement par l'andante du superbe trio "à l'Archiduc" de Beethoven, jusqu'au final, tragique, le réalisateur ne se départit pas, à l'instar de son personnage principal, d'un calme imperturbable, qui semble souvent confiner au détachement pathologique. C'est en grande partie cette originalité dans l'approche des individus et des événements, cette distanciation intense entre l'horreur grandissante et l'apathie des êtres qui subissent l'écrasement progressif du destin, qui donne à l'œuvre tout son sel. Certes la trame est des plus banales, rappelant par son dénouement "le facteur sonne toujours deux fois". Pourtant Joël Coen parvient à transcender cette platitude par un traitement subtil des vagues intérieures, qui ne déferlent jamais dans un délire sanglant façon "Fargo", mais se font délicates, imperceptibles, ce qui n'enlève rien à leur puissance destructrice. Les participants de cette farce macabre sont piétinés par le sort, mais ils sont tous, jusque dans leur apathie, créateurs de l'engrenage qui les broie.  

 Cependant, est-ce dû à l'absence volontaire de folie, (même le personnage haut en couleurs, si l'on peut dire, de l'avocat Freddy Riedenschneider (Tony Shalhoub), paraît sous-dimensionné), ou à l'impression persistante que le drame semble avoir été tourné sous anesthésique, toujours est-il que le résultat, à travers sa perfection esthétique et narrative glacée, donne la fâcheuse impression d'une composition artificielle dans laquelle le spectateur peine parfois à se sentir impliqué. Délectable visuellement et intellectuellement, mais momifiée.
   
Bernard Sellier