Blueberry l'expérience secrète, film de Jan Kounen, commentaire

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Blueberry,   l'expérience secrète,
       2004,  
 
de : Jan  Kounen, 
 
  avec : Vincent Cassel, Juliette Lewis, Michael Madsen, Temuera Morrison, Ernest Borgnine, Djimon Hounsou,
 
Musique : Jean-Jacques Hertz, François Roy

   
 
Le tout jeune Mike S. Blueberry (Hugh O'Conor) est amené chez son oncle (Tchéky Karyo), près de Palamito. Il se rend en cachette au bordel et passe la nuit avec la charmante Madeleine (Vahina Giocante). Mais le violent Wallace Sebastian Blount (Michael Madsen) survient. Mike, grièvement blessé, réussit à s'enfuir, tandis que la jeune femme est tuée. Des années ont passé. Blueberry (Vincent Cassel), sauvé et partiellement initié par l'Indien Runi (Temuera Morrison), est devenu adjoint du shérif Rolling Star (Ernest Borgnine). Il apprend que Blount est de retour, en quête des montagnes sacrées et du pouvoir qu'elles recèlent... 
 
 Désireux de faire un film sur le thème de l'expérience mystique, le réalisateur a vécu, guidé par des chamans, une expérience de mondes parallèles. Ce n'est qu'ensuite qu'il a choisi le western et le personnage de Blueberry pour incarner son ressenti. Cette initiative est, en théorie, passionnante pour tout "chercheur spirituel". En pratique, évidemment, la transcription du vécu, la "livraison" des sensations, des visions, ne peuvent que poser problème. Car, s'il est un domaine qui est, par son essence même, intransmissible, c'est bien celui de l'univers situé hors de nos perceptions fondées sur cinq sens, aux plages vibratoires particulièrement restreintes. Supposons un instant qu'une personne n'a jamais quitté son village, au pied de la montagne. Arrive un voyageur qui désire lui expliquer, lui faire ressentir ce qu'est la vue d'un océan en furie. Sa difficulté sera immense. Il lui faudra inspirer la conception, par l'esprit de son interlocuteur, de milliers de ruisseaux montagnards mélangés, pour donner une infime idée de ce dont il parle. Et pourtant, l'eau est partie intégrante de notre univers, bien connue de tous, accessible à la vue, au toucher, au goût. Alors, imaginons qu'un être ayant perçu un monde qui n'a plus rien de "physique", veuille transmettre son expérience. Il sera dans l'incapacité totale de le faire, car même les mots ne lui seront plus d'aucun secours. Tout simplement parce qu'ils sont conçus uniquement pour décrire ce qui nous est intelligible en état de conscience objective.  
 
 Là est de toute évidence l'écueil d'une telle oeuvre. Si l'on s'en tient à l'aspect western basique, on ne peut qu'être déçu. L'histoire n'a rien de captivant ou d'original, les personnages sont tous (excepté, à l'extrême rigueur Maria Sullivan (Juliette Lewis) dont le rôle n'est pas vraiment majeur) parfaitement antipathiques ou rebutants, le traitement cinématographique, froid, lent, fait que l'on se contrefiche rapidement de ce qui peut survenir à ce Blueberry spectral (qui, notons-le, sourit tout de même pour la première fois à la 108ème minute...), et le final est inexistant. Si l'on regarde l'aspect initiatique, ce n'est pas beaucoup plus enthousiasmant. Sans doute ce qui est présenté sur l'écran évoque-t-il quelque chose pour Jan Kounen, mais pour le spectateur lambda, qui n'a pas effectué une telle plongée dans "l'autre monde", toutes les visions grouillantes, les milliers de lignes ou de choses répugnantes qui s'agitent, les kilomètres de serpents, de mille-pattes, de scolopendres, ainsi que toute une kyrielle d'images numériques (dont quelques unes, trop rares, évoquent de superbes fractales), ne représentent qu'un joujou abstrait, stérile, qui ne rencontre aucune résonance intérieure, vide de sens et, à force, plus que lassant. Sans compter que si c'est ça "l'autre monde", ce n'est pas vraiment encourageant ! Il est assez compréhensible que le public ait été passablement dérouté par ce qu'il avait sous les yeux.  
 
 Comme le dit Jan Kounen dans l'intéressante conversation avec Bernard Achour (Les Années Laser, N° 105, page 88), "...le comble de la sophistication matérielle, qu'il s'agisse de l'appareillage cinématographique ou des millions d'opérations informatiques d'où sont nées les visions, n'a eu qu'un seul objectif : montrer l'invisible, rendre palpable un souffle spirituel... Malgré certains tâtonnements, il arrivait toujours un moment où les images produites... débouchaient en moi sur ce sentiment métaphysique qu'on appelle l'inspiration. Quand j'éprouvais ce sentiment, je savais alors que ces images étaient réussies...". Ces deux mots : "en moi" synthétisent la problématique du film. Tout comme il est impossible à chacun de nous d'"entrer" dans le monde inconnu d'un enfant autiste, il nous est tout aussi irréalisable de pénétrer dans le ressenti individuel de l'artiste. À moins, peut-être, de suivre le même parcours initiatique... Mais cela ne peut être qu'une expérience individuelle !
   
Bernard Sellier