Coup de torchon, film de Bertrand Tavernier, commentaire

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Coup de torchon,
      1981,  
 
de : Bertrand  Tavernier, 
 
  avec : Isabelle Huppert, Philippe Noiret, Eddy Mitchell, Stephane Audran, Guy Marchand, Jean-Pierre Marielle, François Perrot, Jean Champion,
 
Musique : Philippe Sarde

 
 
Lucien Cordier (Philippe Noiret) est responsable de la police dans un petit village d'Afrique Occidentale Française. Nous sommes en 1938. Bien loin de faire respecter l'ordre, Cordier est en permanence ridiculisé par sa femme, Huguette (Stephane Audran) et le soi-disant frère avec lequel elle passe son temps, Nono (Eddy Mitchell). A l'extérieur, il est en butte aux sarcasmes des puissants du lieu, Le Peron (Jean-Pierre Marielle), tenancier du bordel, ainsi que Vanderbrouck (Michel Beaune). Un jour, Lucien se rend à la ville et demande conseil à Marcel Chavasson (Guy Marchand), son officier supérieur. Lorsqu'il revient dans son bled, Cordier va changer radicalement d'attitude... 
 
 Noir, c'est noir ! Et pas seulement parce que toute cette histoire se déroule dans une colonie africaine ! Tout commence dans la grosse farce (Vanderbrouck et ses latrines !). Philippe Noiret, grandiose de bout en bout, cumule en apparence toutes les tares : il est stupide, aveugle, mou, lâche, servile. Autour de lui, c'est une véritable ménagerie de dégénérés et de racistes en tous genres. Le Peron et son collègue, qui ont pour unique distraction de faire des cartons sur les cadavres charriés par le fleuve ; l'inénarrable Nono ("Je parle français, j'pressure ?), arborant en permanence un faciès totalement abruti ; Rose (Isabelle Huppert), délicieuse de cynisme désinvolte, dont le cerveau est logé entre les fesses ; Chavasson et ses pitoyables jeux de mots, démontrant de manière irréfutable, que les Nègres n'ont pas d'âme... Un pur concentré de connerie humaine à l'état natif !  
 
 Puis, lentement, une transformation s'opère. Nous passons de la bouffonnerie sombre à un tragique qui ne l'est pas moins. Ce n'est pas le "Nouveau Jean-Claude" (cf. le film de Didier Tronchet), qui se profile sous nos yeux, mais le Nouveau Lucien. Et si les mésaventures de l'ancien faisaient rire jaune, les manifestations du nouveau ne prêtent plus vraiment à la plaisanterie. Pourtant, c'est là d'ailleurs une des grandes réussites du réalisateur, bien que le personnage ait viré de bord à 180°, soit passé de l'état de carpette à celui de liquidateur inspiré, le ton du film, lui, conserve la même dominante, celle de l'ironie amère, désespérée, du dérisoire horrifique, du cynisme assumé. Sans donner l'impression qu'un éclair intérieur a frappé ses neurones, Lucien met à jour une facette de sa personnalité avec la normalité banale qui accompagnerait un changement de chemise ! C'est avec une évidence glaçante que le spectateur voit émerger, sans vagues, sans avertissement, le nettoyeur sans états d'âme chez le bon gros père débonnaire. Celui qui, de prime abord, donnait l'impression d'avoir atteint le degré zéro de l'énergie vitale, se révèle un fin calculateur, dès l'instant que la porte de la libération s'est ouverte.  
 
 Noirceur intégrale ? Pas tout à fait. Au milieu de ce maelström enténébré, apparaît une frêle bougie, une petite lumière : Anne (Irène Skobline), l'institutrice. Sans posséder le pouvoir d'être salvatrice, elle apporte néanmoins une pointe de douceur dans ce monde de brutes. Dans cette vision de cauchemar qui, par le génie des auteurs, se révèle horriblement jouissive !
   
Bernard Sellier