The crying game, film de Neil Jordan, commentaire

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The crying game,
     1992, 
 
de : Neil  Jordan, 
 
  avec : Forest Whitaker, Miranda Richardson, Stephen Rea, Adrian Dunbar, Jaye Davidson, Joe Savino, Jim Broadbent,
 
Musique : Anne Dudley


 
Jody (Forest Whitaker) est un jeune soldat anglais basé en Irlande. Il est séduit par une jolie jeune fille blonde, Jude (Miranda Richardson), mais elle n'a en fait pour but que de permettre son enlèvement par l'IRA. Un commando, dirigé par Peter Maguire (Adrian Dunbar) souhaite échanger le prisonnier contre un des leurs, capturé par l'armée britannique. Jody est gardé par Fergus (Stephen Rea), avec lequel il se lie progressivement. Conscient qu'il sera exécuté, il demande à son geôlier de prendre contact, lorsqu'il sera mort, avec son amie Dil (Jay Davidson), qui habite en Angleterre. Fergus promet. Un matin, il reçoit de Peter l'ordre d'exécuter Jody... 
 
 Il est bien difficile de décrire ce que l'on nomme souvent la "magie" du cinéma. Prenons l'exemple de ce film. L'histoire, tout d'abord. Un enlèvement sur fond de guerre et de terrorisme, comme en a connu l'Irlande pendant de nombreuses décennies. Quelques liens superficels qui se tissent entre le captif et son gardien. Puis la rencontre de ce dernier et de celle qu'il avait promis de contacter. Les personnages, ensuite. Un soldat banal, anonyme, qui se trouve soudain précipité dans l'horreur d'un conflit qui lui est étranger. Un volontaire de l'IRA, dont l'activisme est grandement freiné par une humanité envahissante. Une jeune coiffeuse qui cherche l'âme soeur et la confiance dans l'amour. Sur le papier, il n'y a pas, dans tout cela, de quoi fouetter un chat !  
 
 Que se passe-t-il alors ? Pourquoi, dès les premiers mots échangés entre Jody et Fergus, dès les premiers gestes, dès les premiers regards, un miracle se produit-il ? Certes, il y a les interprètes. Forest Whitaker, toujours tendu, expressif, mais rarement aussi émouvant qu'ici, transcende, en quelques séquences, son personnage réduit. Stephen Rea, tout en demi-teinte, est lui aussi mémorable. Mais c'est bien évidemment Dil qui illumine le film de manière intense. Sobrement impériale, d'une beauté irradiante, imprégnée jusqu'à la moelle de glace et de feu, cachant sous une fragilité assumée une impétuosité et un courage hors du commun, elle est une figure aussi magique qu'envoûtante. Cependant, la seule présence de ces individualités saillantes ne suffirait sans doute pas à expliquer le charme subjuguant qui se dégage de l'oeuvre. Il y a aussi cet art souverain de la simplicité, de ces petits riens qui cisaillent le coeur, de l'originalité discrète qui métamorphose une scène banale (les échanges verbaux de Dil et de Fergus par l'intermédiaire de Col (Jim Broadbent), le serveur du bar), en un espace-temps abyssal, vertigineux de souffrance asphyxiante et d'aspirations torrides.  
 
 Un certain nombre de films recèlent ces moments extatiques, en apesanteur, dans lesquels l'aile de la poésie, de la pureté, de l'inspiration mystique, imprègnent décors, personnages, paroles. Il est exceptionnel qu'un tel état se maintienne pendant toute la durée d'un drame. Malgré la violence permanente dans les faits ou dans les échanges verbaux (une avalanche de "fuck"...), le miracle se perpétue de bout en bout. "The crying game" se révèle un film d'amour fiévreux, poignant, inondé d'un charme aussi intense que pudique. En état de grâce constant...
   
Bernard Sellier