La dernière marche, film de Tim Robbins, commentaire

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La dernière marche,
      (Dead man walking),    1995, 
 
de : Tim  Robbins, 
 
  avec : Susan Sarandon, Sean Penn, Robert Prosky, Lois Smith, Raymond J. Barry, R. Lee Ermey, Scott Wilson,  
 
Musique : Tom Waits, David Robbins


 
Lire le poème (CinéRime) correspondant : ' Rédemption '

 
Matthew Poncelet (Sean Penn), condamné à mort pour l'assassinat horrible d'un jeune couple, attend depuis six ans son exécution. Il écrit un jour à soeur Helen Prejean (Susan Sarandon). Elle accepte de le rencontrer et de devenir sa conseillère spirituelle lorsque la date fatidique est fixée. Parallèlement, elle tente, avec l'aide d'un vieil avocat, Hilton Barber (Robert Prosky), d'obtenir la commutation de la peine capitale en prison à vie. 
 
 Cette œuvre, que l'on pourrait prendre au premier degré, pour une plaidoirie contre la peine de mort, s'élève, à mon sens, bien au-delà de cette mission. Elle est un plaidoyer pour l'amour et la valeur du pardon. Par le biais de cette tragique expérience, sans doute totalement vécue, puisque le film est tiré de l'ouvrage de la réelle soeur Helen Prejean, Tim Robbins expose, avec une intelligence rare, une absence de manichéisme absolue, une sensibilité exacerbée, ce qui constitue le drame perpétuel de l'humanité : le développement de la haine, celle des autres, de ceux que l'on catalogue comme responsables de notre mal-être, mais aussi et surtout celle de soi-même, qui conditionne et enfante la première. Cette haine qui n'est que la simple absence d'amour pour la vie. Et, paradoxalement, c'est la religion, pourtant véhicule théorique du message Christique, qui a creusé, tout au long des siècles, cette faille qui continue, aujourd'hui encore, d'engloutir les esprits. Je regardais hier soir quelques passages d'un film de Fred Zinneman que j'avais vu il y a environ 45 ans : "Au risque de se perdre" (avec la sublime Audrey Hepburn, soit dit en passant). L'héroïne, devenue religieuse, reçoit les "bons" et "sages" conseils de ses supérieures et, en particulier, celui-ci : "il est indispensable d'aimer Dieu, mais surtout de ne pas s'aimer soi-même ! Ce serait un grave péché d'orgueil !". Quelle abomination ! Comment s'étonner après deux millénaires d'aberrations semblables, que les insconscients individuels et collectifs soient pollués par les cortèges de colères, culpabilisations et autres traumatismes psychologiques ?  
 
 Helen Prejean tente de donner vie à cet amour qu'elle sent confusément au fond de son coeur. Elle en fait bénéficier Matthew Poncelet, qui est, aux yeux du monde, un monstre. Le réalisateur n'occulte d'ailleurs, à aucun moment, l'abomination de l'acte commis. Et, bien évidemment, cet accompagnement engendre la colère des parents des malheureuses victimes. Leur réaction est tout à fait compréhensible et respectable. Mais respectable aussi est la mission d'Helen. Courageuse et indispensable. Parce que si, malheureusement, plus rien ne peut être apporté aux deux jeunes victimes, une aide spirituelle peut l'être pour ce condamné qui est, de fait, un individu fruste, désaxé, gorgé de violence et de haine. Lorsque l'on sait que la dernière vision perçue avant le passage dans l'au-delà conditionne l'état de l'âme, les mots adressés par soeur Helen à Matthew prennent tout leur sens : "je porterai le visage de l'amour pour vous". Au-delà de la défaite subie dans l'aide matérielle qu'elle souhaite apporter, puisque le recours est rejeté, se profile une immense victoire : la double prise de conscience finale de Poncelet : celle qui lui permet de demander pardon aux parents, mais, surtout, celle qui lui dicte ces mots : " Je ne veux pas partir avec de la haine dans le coeur... je crois que tuer c'est mal, peu importe celui qui tue, que ce soit moi, ou vous, ou le gouvernement..." 
 
 Aussi étrange, incompréhensible, ou choquant que cela puisse être pour certains, il est vrai que le véritable vainqueur de cette tragédie est Matthew. Il a payé sa dette et on peut supposer que, s'il se réincarne, il saura développer et manifester ce dont il a pris connaissance dans la douleur infligée aux autres : "c'est au moment où je vais crever que j'apprends ce que c'est que l'amour". Le drame majeur de l'humanité est celui qui naît de la dualité dans laquelle nous nous débattons : l'impossibilité quasi totale de choisir la voie de l'amour spontanément. Nous avons besoin de plonger dans l'horreur, de l'expérimenter encore et encore, pour décider de choisir le beau. Les parents des deux jeunes gens, eux, demeurent enfermés dans la souffrance et la fureur. Ils sont en cela, doublement victimes.  
 
 Oui, assurément, la peine de mort est à proscrire. Le but de la justice est de protéger la société, pas de supprimer la vie. Donner la mort, que ce soit par violence gratuite ou par décision judiciaire est toujours, indubitablement, un échec de notre humanité profonde. Mais, si notre manifestation est, comme c'est plus que probable, une succession de morts et de renaissances, l'important est au-delà de ce débat. Il est dans la prise de conscience de notre germe fondamental : l'amour. Et même si cela se fait dans une circonstance aussi tragique qu'une exécution, c'est bien.  
 
 Susan Sarandon a obtenu l'Oscar de la meilleure actrice en 1995 pour ce rôle. C'est sans doute mérité. Nicolas Cage l'a obtenu pour sa prestation dans "Leaving Las Vegas". Peut-être est-ce justifié... Je ne l'ai pas vu. Quoi qu'il en soit, il est incontestable que Sean Penn, nominé, se montre, à son habitude, extraordinaire de sensibilité et d'authenticité dans la rage comme dans la faiblesse. Il est totalement inoubliable. Son face à face final avec Susan Sarandon, dans lequel il se livre corps et âme, est un moment majeur de cinéma et, bien plus encore, d'émotion et de drame humain tout court. 
 
 C'est la gorge nouée et le coeur dans un étau que l'on assiste au dénouement de ce désastre existentiel. Une œuvre indispensable et bouleversante.
   
Bernard Sellier