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Le fabuleux destin d'Amélie Poulain,
      2004, 
 
de : Jean-Pierre  Jeunet, 
 
  avec : Audrey Tautou, Gaspard Ulliel, Michel Robin, Dominique Pinon, André Dussollier, Jodie Foster, Marion Cotillard, Jean-Paul Rouve,
  
Musique : Angelo Badalamenti

   
   
Mathilde (Audrey Tautou) vit en Bretagne chez son oncle Sylvain (Dominique Pinon) et sa tante Bénédicte (Chantal Neuwirth). Elle était amoureuse de Manech (Gaspard Ulliel), mais la guerre de 1914 a emporté celui-ci vers les tranchées de Verdun. Accusé avec quatre de ses camarades, de s'être mutilé volontairement pour échapper au combat, il doit être fusillé. En fait, le Capitaine Favourier (Tchéky Karyo) les a laissés sortir dans le no mans land situé entre les lignes allemandes et françaises, ce qui n'était évidemment pas plus salvateur. Tous ont apparemment péri. Mais Mathilde ne se satisfait pas de cette soi-disant certitude. Elle prend contact avec un détective, Germain Pire (Ticky Holgado) et enquête, de son côté, essayant de retrouver les rares survivants de la tranchée. Parallèlement à ses recherches, l'ancienne maîtresse de l'un des condamnés, Tina Lombardi (Marion Cotillard), exécute des officiers qui ont été, semble-t-il, responsables de la mort des cinq malheureux... 
 
   Si l'on peut souvent regretter que nombre de scénarios tiennent sur la surface d'un timbre poste, que maintes mises en scène soient d'une platitude absolue, il est sûr que l'on ne peut pas adresser ces reproches à Jean-Pierre Jeunet ! Je ne sais pas combien de séquences et sous-séquences comporte ce qui est mis en images ici, mais ça doit être impressionnant ! Et l'ensemble de cette oeuvre l'est effectivement, impressionnante ! Le point de départ est pourtant des plus simples : une jeune fille, naïve, légèrement handicapée (elle a eu la polio dans son enfance et en garde la paralysie partielle d'une jambe), tente de se persuader que celui qu'elle aime est toujours vivant. Mi-inspirée, mi auto-manipulatrice de ses croyances (si tel événement "x" se produit avant l'événement "y", c'est qu'il n'est pas mort...), elle entreprend une quête qui lui permet de survivre. Le réalisateur nous entraîne, dans un maelström de plans, dans un empilement de scènes temporellement mélangées, dans un fouillis de pièces dont les informations se télescopent, se superposent, se contredisent. C'est d'une virtuosité folle, d'une complexité constructive époustouflante, d'une richesse informative à donner le tournis. Le nombre des personnages qui peuplent cette fresque est incalculable, beaucoup d'entre eux se ressemblent (moustache d'époque oblige !) et plus d'une fois le spectateur peut perdre le fil ténu qui relie toutes ces séquences de vies brisées.  
 
   Dès les premières minutes, le style narratif et visuel profondément original de Jean-Pierre Jeunet se reconnaît. Assagi, atténué, pour certains aspects (la courte description de l'enfance de Mathilde rappelle grandement celle d'Amélie Poulain, dégraissée du caricatural baroque qui la caractérisait), mais d'une évidence absolue. Hyperdécoupage, plans courts, éclairs d'émotion fugitive, irruption de détails funambulesques, utilisation subtile des couleurs (on passe du noir et blanc à la couleur, puis au sepia...), personnages hauts en couleur, aux visages parfois déformés (on est loin tout de même des excès de "La cité des enfants perdus", heureusement !)... le réalisateur utilise avec maestria toutes les possibilités créatrices qu'offre le cinéma. Au final, paradoxalement, une impression mitigée émerge. Une telle multiplication des points de vue, des hypothèses, des espoirs brisés, des pressentiments, un brassage frénétique des éléments temporels, n'est-ce pas trop ? Cette quête pure, intime, d'un amour qui se veut absolu, se transforme en un parcours haché, parfois fantaisiste, ponctuellement clinquant, souvent harassant. Et les moments d'émotion pure, fragile, sont toujours interrompus, cassés par un passage soudain au léger, à l'impromptu, comme si le réalisateur craignait de s'enfoncer dans le poignant et de s'y laisser submerger.  
 
   La trame narrative est, intellectuellement, d'une richesse fabuleuse, et deux ou trois visions ne seront pas superflues pour engranger toutes les informations qui, à la première vision, passent à la trappe. L'histoire est un puzzle passionnant, même si l'overdose des données guette parfois. Sur le plan purement cinématographique, l'oeuvre est d'une luxuriance incomparable : découpage savant, décors impressionnants, écriture habile... Il serait possible d'appliquer la moitié des superlatifs de la langue française à cette réalisation. Et cependant, au milieu de cette débauche de qualités visuelles, auditives et créatives, une pensée me revenait souvent comme un leitmotiv : dans la simplicité réside la pureté...
   
Bernard Sellier