La fille de Ryan, film de David Lean, commentaire

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La fille de Ryan,
     (The Ryan's daughter),       1970, 
 
de : David  Lean, 
 
  avec : Robert Mitchum, Trevor Howard, John Mills, Christopher Jones, Sarah Miles, Barry Foster, Leo McKern, Marie Kean,  
 
Musique : Maurice Jarre

 
   
Un petit village sur la côte irlandaise pendant la première guerre mondiale. Les troupes anglaises occupantes sont représentées par un petit contingent local. Les jeunes gens du pays s'ennuient. Leur principal passe-temps est de boire et de se moquer de Michael (extraordinaire John Mills), attardé mental. Rosy (Sarah Miles), la fille du cabaretier Ryan (Leo McKern) s'ennuie elle aussi. Elle voit avec joie revenir de Dublin Charles Shaughnessy (Robert Mitchum), l'instituteur, et ose lui déclarer son amour. Après quelques hésitations, il accepte. Le mariage a lieu. Mais la mélancolie de la jeune femme ne s'évanouit pas pour autant. Bien au contraire. Et ce ne sont pas les pieuses exhortations du père Collins (Trevor Howard) qui améliorent la situation. Un jour, arrive un nouveau commandant britannique, Randolph Doryan (Christopher Jones), jeune, beau et légèrement handicapé suite à une blessure de guerre. Rosy cède à la passion... 
 
   Souvent mal accueillie (cf. la critique assassine de la très médiatique Pauline Kael au moment de sa sortie), contrairement au "Docteur Jivago", "Lawrence d'Arabie", ou au "Pont de la rivière Kwaï", cette fresque intensément lyrique est pourtant une merveille de pudeur, de sensibilité exacerbée, de romantisme onirique. L'histoire ne possède évidemment pas le panache et le spectaculaire des films précités. Le sujet est simple, simpliste, diront les détracteurs. Une jeune femme perdue dans un monde lugubre, peuplé d'habitants guère plus évolués que le malheureux sourd-muet du village. Malgré la monotonie mortifère des jours sans sève, elle sent au fond d'elle-même une étincelle, qui ne demande qu'à exploser pour faire naître la joie intérieure. Mais la première tentative est un échec. Et, comme le souligne le Père Collins, propageant avec aplomb le dogme criminel qu'a martelé pendant des lustres l'Eglise chrétienne, il faut faire avec ! L'horrible phrase qu'il assène à Rosy : "Ne te perds pas dans tes rêves, sinon tu finiras par avoir ce que tu veux !", résume parfaitement le sabordage organisé du bonheur qui a été imposé au monde occidental, durant deux millénaires, par la tradition judéo-chrétienne.  
 
   Les immenses landes désertiques ne constituent pas non plus un décor immédiatement séduisant et brillant. Et pourtant ! Quelle beauté lumineuse, sauvage et magistrale dans ces falaises vertigineuses, quelle poésie mélancolique dans ces silhouettes humaines perdues au milieu de l'espace, quel désespoir au fond du regard de ces êtres qui cherchent l'absolu dans l'océan de leurs rêves opprimés ! Christopher Jones a, paraît-il, (cf. l'article des "Années Laser" N° 122, page 100), posé de lourds problèmes à David Lean, se révélant un acteur médiocre. C'est possible. Il n'en demeure pas moins qu'il incarne, physiquement et psychologiquement, l'archétype du héros romantique, concentrant, dans son visage ténébreux, toute la détresse d'un monde à l'agonie. Sarah Miles, fragile, timide, délicate fleur tendant toutes ses énergies vers une éclosion condamnée, se montre aussi bouleversante que, dans un registre différent, Robert Mitchum, profondément humain sous sa carapace rugueuse et fermée. Quant au drame final, provoquant la séparation du bon grain de l'ivraie, il est d'une sobriété poignante.  
 
Une pure merveille.
   
Bernard Sellier