Lau Kin Ming (Andy Lau) et Chan Wing Yan (Tony Leung) ont été formés tous deux à la même école de police. Le second a accepté de devenir flic infiltré. Mais, au bout de presque dix ans, dont trois passés au côtés de Sam (Eric Tsang), puissant trafiquant de drogue, il est au bord de la déprime. Quant au premier, devenu brillant policier, il est en réalité l'informateur de Sam ! Une opération de police, montée par le commissaire Wong pour prendre en flagrant délit le truand, échoue in extremis. La guerre est désormais implacable entre Wong et Sam. Chacun d'eux sait qu'une taupe se dissimule dans ses rangs, mais ignore son identité. Le jeu de cache-cache devient de plus en plus serré, jusqu'à ce que Wong, seul à connaître la vérité sur Yan, soit abattu...
Lorsque le cinéma oriental accepte d'abandonner pour un temps ses délires hyperviolents, ses excès primaires, où dix mille coups de feu sont tirés par minute, où les individus ressemblent à des automates décervelés, il est capable de produire des oeuvres particulièrement intenses, riches et envoûtantes de bout en bout. L'histoire policière a beau être ici simple et convenue, son évolution, grâce à l'ampleur événementielle de sa trame ainsi qu'à la richesse psychologique de ses protagonistes, tient en haleine sans une seconde de répit. Le montage de chaque scène est en totale osmose avec son contenu, sachant aussi bien se faire incisif, percutant, comme dopé aux amphétamines, dans les instants d'action pure, jamais excessifs, que paisible et générateur d'émotion sobre dans les moments d'accalmie et de réflexion. Quant aux deux personnages, campés avec une justesse, une acuité et une véhémence exceptionnelles, ils sont en fait les deux moitiés d'un même être, dont les pas auraient divergé, tandis que le coeur demeurait en quête du même idéal. Choisir son chemin de vie, assumer ses erreurs, mais, au bout du compte, chercher la rédemption, telles sont les étapes vitales que parcourent Lau et Yan.
Totalement dégraissé de tout élément superflu, conduit à un rythme forcené sans dévier une seconde de la trajectoire qui lui a été fixée, le film est un concentré de faits bruts, de tourbillons psychologiques concis et d'impulsions intérieures qui se fondent magistralement pour donner naissance à une sorte de tragédie ascétique poignante. Même l'intervention des femmes, minime mais importante fondamentalement (Mary (Sammy Cheng), la compagne de Lau, qui écrit un roman dont le héros est un être à multiples personnalités, symbolise en fait la conscience de son amant), est effectuée avec une sobriété et une sensibilité confondantes.
Presque plus proche du drame que du film policier, "Infernal affairs" est une mosaïque intelligente, excitante, complexe, brillante, dont le final, inattendu, laisse un goût amer. Passionnant de la première à la dernière image !
Bernard Sellier