Dans la ville de Gotham, l'anarchie règne. Le richissime Thomas Wayne (Brett Cullen) se présente à la mairie en prétendant être l'unique sauveur de la cité. Arthur Fleck (Joaquin Phoenix) vit pauvrement avec sa mère malade, Penny(Frances Conroy), en faisant le clown dans les hôpitaux. Fragile mentalement, il commence peu à peu à péter les plombs...
Il était évident et naturel qu'un jour ou l'autre Joker, l'ennemi juré de Batman, se voie offrir un film racontant sa vie supposée à Gotham et donnant des explications sur la pente qui l'a amené à devenir l'ennemi public numéro 1. C'est donc désormais chose faite et, à la vue de la création de Todd Phillips couplée à celle d'un Joaquin Phoenix irradiant de bout en bout dans son personnage totalement décalé, on ne peut qu'adhérer au choix des Oscars qui ont couronné l'acteur pour sa performance. Sans oublier la statuette qui a salué la musique de la compositrice islandaise, réellement inspirée dans sa noirceur maîtrisée, ainsi qu'un Lion d'Or à Venise pour le film.
L'une des remarquables qualités de l'oeuvre est de nous faire complètement oublier l'origine BD de l'histoire. Pas trace ici de super héros ou de situations abracadabrantesques. Nous sommes dans un réalisme pur et dur, avec, à la clé, une condamnation sans appel des émissions qui déshumanisent la société. Arthur est un enfant malade, désespérément en quête du sens de sa vie, qui se rêve humoriste de talent, et qui explose en permanence dans des crises d'hilarité aussi volcaniques qu'incontrôlables afin de ne pas sombrer dans les gouffres de la folie. A travers les multiples traumatismes tant physiques que psychiques qui s'accumulent dans son existence, le récit plonge le spectateur dans les méandres tortueux de son esprit déliquescent. Et dire que Joaquin Phoenix est impérial dans l'incarnation de cette victime relève de l'évidence. Il se montre tour à tour subtil, désemparé, humilié, pour, au final, découvrir le salut dans une violence inéluctable. Et c'est sans doute sur ce point que l'on peut émettre quelques regrets. Outre que l'histoire insère les aspects politiques, sociaux, psychopathologiques, dans un mélange un peu fourre-tout, elle a surtout la limite de se reposer entièrement sur un scénario linéaire et hautement prévisible. Dès le premier quart d'heure, il est possible de deviner l'issue de cette course folle contre la misère et l'humiliation. Heureusement que, dans sa globalité, l'oeuvre affiche suffisamment de tenue dramatique, de frénésie et de clinquant maîtrisés, pour que la simplification du récit ne grève pas le volcanisme qui bouillonne sans interruption dans cette création hors normes.
Bernard Sellier