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Lantana,
       2001, 
 
de : Ray  Lawrence, 
 
  avec : Anthony LaPaglia, Geoffrey Rush, Barbara Hershey, Kerry Armstrong, Rachael Blake,
 
Musique : Paul Kelly

  
   
Les destins entrecroisés de plusieurs couples à la dérive. Il y a Leon Zat (Anthony LaPaglia), marié à Sonja (Kerry Armstrong), mais qui entretient une liaison précaire avec Jane O'May (Rachel Blake), elle-même séparée de Pete (Glenn Robbins). Il y a le docteur Valerie Somers (Barbara Hershey), psychanalyste, dont l'union avec John Knox (Geoffrey Rush) bat fortement de l'aile, depuis l'assassinat de leur fillette, Eleanor, dix huit mois plus tôt. Et puis il y a aussi Paula, la jeune voisine de Jane, dont le mari va se trouver mêlé à un sombre drame... 
 
   "Lantana" se démarque fortement du tout venant des psycho-drames tant par sa forme que par son parti pris de sobriété intense. Au premier abord, on peut avoir vaguement l'impression d'un négatif de "21 grammes". On trouve cette même mosaïque de destins qui se chevauchent, se recoupent, se superposent, cet avancement par saccades, qui, finalement, donnent naissance à un tissu intelligemment et tragiquement orchestré. Mais, là où Inarritu installait une violence visuelle, rythmique, verbale, une urgence implacable dans la succession des scènes, Ray Lawrence ne se départit jamais d'une apparente placidité, d'une langueur quasi hypnotisante.  
 
   Il prend tout son temps pour installer chaque personnage, pour nous inviter à pénétrer, dans un calme et un silence pudiques, dans l'intimité de tous ces êtres qui souffrent, sont rongés intérieurement par un désespoir qui n'éclate jamais. Tandis que les personnages d'Inarritu explosent en geysers volcaniques, ceux de Lawrence affichent un feu de glace. Mais cette lenteur n'est jamais synonyme de vide ou d'absence d'intensité, loin de là ! Elle donne naissance à une profonde connivence avec tous ces individus écorchés. Par son calme apparent, elle donne au spectateur le temps et le désir d'apprendre à connaître le drame de chacun, de laisser s'installer au fond du coeur une infinie compassion.  
 
   L'authenticité qui se dégage de cette fresque tient également à deux autres facteurs. D'abord, le choix judicieux des acteurs. LaPaglia, Rush, Barbara Hershey, Kerry Armstrong, et jusqu'aux rôles les moins importants, tous se mettent à l'unisson pour s'infiltrer avec délicatesse et sincérité dans ces âmes meurtries. Ensuite la construction narrative qui avance à pas feutrés, sans une once de spectaculaire ou d'esbroufe, suivant fidèlement l'errance intérieure de ces êtres déboussolés. Certes, le spectateur, habitué au martèlement souvent pataud des productions classiques, pourra être dérouté par cette technique narrative. Est-il courant que, cinquante cinq minutes après le début du film, l'on ignore encore tout de la direction qui va être prise ? Q'une telle aura de mystère soit préservée sur un tel laps de temps, non par désir d'appâter, mais par simple logique narrative et psychologique ? On subodore qu'un drame va survenir, puisque l'oeuvre s'ouvre sur la vision fragmentaire d'un cadavre. Mais nous n'en saurons pas plus pendant un très long temps. Qui est cette victime ? Est-ce un crime ? Nous découvrirons la clé de l'énigme au rythme de l'évolution naturelle des événements et de la progression psychologique des protagonistes. La musique elle-même, aussi lancinante que discrète, se met à l'unisson de cette pudeur générale. 
 
   C'est toujours intelligent, sensible, profondément émouvant et humain, intense dans la délicatesse. Et toujours passionnant...
   
Bernard Sellier