La comtesse de Merteuil (Glenn Close) et le vicomte de Valmont (John Malkovich) sont d'anciens amants. Séparés de corps, mais non d'intérêts, de confidences érotiques ou d'intrigues. Pour lors, elle souhaite se venger de Bastide, qui doit épouser prochainement la fille de sa cousine, Cécile de Volanges (Uma Thurman). Bien évidemment, la mariée doit être vierge. La comtesse demande donc à Valmont de séduire la jeune fille avant l'union. Mais celui-ci refuse, arguant que la chose est trop aisée, et que lui-même s'est donné, présentement, une tâche beaucoup plus ardue : séduire la pieuse et vertueuse Madame de Tourvel (Michelle Pfeiffer) dont le mari est absent...
Deux adaptations des "Liaisons dangereuses" de Choderlos de Laclos sont sorties sur les écrans en deux ans : le "Valmont" de Milos Forman et celle-ci. Tandis que la première ne recèle aucune star (mais une Annette Bening affolante de sensualité manipulatrice), la seconde est un véritable festival d'acteurs de premier plan. C'est bien évidemment un régal d'assister au duel psychologique des deux personnages principaux, qui sont les ordonnateurs funèbres de cette danse de séduction et de mort : Glenn Close, menaçante ou férocement glaciale, et John Malkovich, dont la rouerie et l'hypocrisie suintent par tous les pores et toutes les mimiques. Mais il serait injuste d'oublier Michelle Pfeiffer et Uma Thurman, dont l'apparente platitude de caractère est transcendée par leur fascinante présence.
Sous les dehors pomponnés, poudrés, fastueux, de ces êtres aussi désoeuvrés que vicieux, se cache une noirceur qui envahit progressivement les rapports multiples. L'aspect le plus passionnant de cette évolution tragique des actes négatifs posés dès le départ, réside davantage dans les conséquences qu'ils vont produire sur leurs auteurs, que dans celles qu'ils déterminent sur les victimes désignées. Tout l'intérêt des jeux auxquels se livrent Merteuil et Valmont repose sur l'écrasement du faible. Il est établi, à l'origine, que Cécile et Madame de Tourvel sont des proies idéales, pour des raisons différentes. La première est une oie blanche qu'il est jouissif de dévoyer, tout en se vengeant de son futur époux. La seconde constitue un but d'autant plus attirant que la victoire apparaît difficile, voire incertaine. Mais il se révèle que dans cette valse de pantins, n'existent que des faibles. Les avérés, et les soi-disant forts, qui ne sont, en fait, que des êtres pusillanimes, dérisoires, dont l'infériorité est, soit inconsciente, soit habilement dissimulée.
Stephen Frears a parfaitement réussi la peinture de cette levée progressive des masques chez Merteuil et Valmont. Ceci étant dit, il n'en reste pas moins que le classicisme de la mise en scène et le détachement pathologique dont se revêtent les deux manipulateurs, répandent sur l'oeuvre entière un nuage d'insensibilité et d'indifférence. Il devient dès lors assez difficile de s'apitoyer sur le sort des malheureuses victimes, tant cette cavalcade aristocratiquement désuète sent la naphtaline des fastes surannés. Même lorsque l'émotion pointe le bout de son nez dans un dernier quart d'heure profondément tendu.
C'est remarquablement joué, psychologiquement subtil, esthétiquement réussi, mais plus intelligent que passionné.
Bernard Sellier