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Loin du paradis,
        (Far from heaven),        2002, 
 
de : Todd  Haynes, 
 
  avec : Julianne Moore, Dennis Quaid, Dennis Haysbert, Patricia Clarkson, Viola Davis, James Rebhorn,  
 
Musique : Elmer Bernstein, Max Lichtenstein

   
   
La fin des années cinquante dans le Connecticut. Frank Whitaker (Dennis Quaid), marié à la blonde Cathy (Julianne Moore), occupe un poste élevé de cadre commercial dans la société Magnatech. Son avenir semble brillant. Ils habitent une belle demeure avec leurs deux enfants, Janice (Lindsay Andretta) et David (Ryan Ward). Le paradis ! Mais, un jour, Cathy découvre son mari dans les bras d'un autre homme. Bouleversée, elle le pousse à suivre une psychothérapie aurpès du docteur Bowman (James Rebhorn). Mais Frank continue à boire et devient parfois violent. La jeune femme trouve un peu de réconfort auprès de Raymond Deagan (Dennis Haysbert), son jardinier. Le seul problème est qu'il est noir... 
 
   Une petite ville aux apparences matérielles et psychologiques tranquilles. Celui qui a réussi professionnellement se voit doté d'une vie douce, du confort matériel, de l'admiration de ses égaux. Mais, contrepartie moins glorieuse, son moindre geste est épié, son plus petit dérapage presque souhaité, car la mise à mort d'un puissant est une jouissance souvent aussi intense que l'ascension personnelle. Derrière les compliments, les flatteries, les petits potins échangés à l'heure du thé, grouillent les rancoeurs, les jalousies, les calomnies. Sous l'apparence d'une sérénité et d'une coexistence harmonieuse, se cache un racisme ancré au plus profond des esprits, qui n'attend que l'étincelle pour enflammer les corps. Cette atmosphère faussement décontractée, à l'équilibre fondé sur l'étouffement des véritables personnalités, n'est pas sans évoquer le film de Robert Mulligan "Du silence et des ombres".  
 
   Dans cette oeuvre de 1962, Gregory Peck y incarnait un avocat cultivé, intelligent, un père attentif, et, surtout, profondément humaniste. Le personnage idéal pour secouer le conformisme ambiant et introduire un peu de lumière dans les consciences encrassées de ses concitoyens. On ne peut en dire autant de Cathy ! Belle, assurément, mais frivole, mondaine, maniérée, sorte de petite poupée clone de Marilyn, elle ne paraît pas a priori capable de remettre en cause son nid douillet. Pourtant, les événements vont se charger de bouleverser sa tranquillité, de lui faire perdre un à un tous ses repères, et c'est avec une justesse, une délicatesse intenses que Todd Haynes brosse le portrait de cette femme qui voit lentement monter en elle des émotions dont elle ne soupçonnait pas l'existence et se lézarder le masque futile qui jusque là obscurcissait sa perception de la vie.  
 
   La réalisation, emplie de retenue, de discrétion, de pudeur, tout comme la conduite du récit, subtile et mesurée, se mettent au diapason des hésitations, des limitations qui gangrènent le potentiel expressif de la jeune femme. Dès lors, le spectateur égoïste, qui éprouve le besoin de voir shooter dans cette fourmilière gluante et oppressante, peut ressentir une certaine frustration. C'est le signe que le réalisateur a réussi une osmose exceptionnelle entre l'atmosphère feutrée, étouffante de non exprimé, qui caractérise l'époque, et la transcription cinématographique, tant dans sa forme que dans sa trame scénaristique.  
 
   Sertie dans un écrin esthétiquement superbe (alternance de couleurs chatoyantes, de feuillages rouges, couleur coeur, et de bleus profonds dans lesquels se terre l'âme blessée), cette histoire est magnifiquement servie par un trio d'acteurs justes et vibrants. Si Dennis Quaid et Dennis Haysbert sont remarquables de sobriété et de profondeur contenue, Julianne Moore est un modèle de réserve, de sincérité et d'authenticité. Lumineuse de bout en bout, elle flirte en permanence avec la grâce.
   
Bernard Sellier