Mad Max (Tom Hardy) survit seul. Il est fait prisonnier par les hommes de Immortan Joe (Hugh Keays-Byrne), qui est le seigneur de la Citadelle, et règne sur la population restante grâce à sa possession d'eau qu'il donne au compte goutte. Mais l'Impératrice Furiosa (Charlize Theron), chargée de conduire un camion de ravitaillement en essence, profite de sa mission pour fuir avec les femmes du harem. Max se retrouve embarqué dans une poursuite implacable...
Voilà le genre d'oeuvre qui écartèle l'esprit d'appréciation entre deux extrêmes difficilement conciliables. Ainsi que l'ont martelé la quasi totalité des critiques, un point est incontestable. Il s'agit d'une création cinématographique hors normes, qui pulvérise les limites de ce que l'on a l'habitude de voir sur grand écran. A son côté, les blockbusters de super héros, farcis jusqu'à l'overdose de trucages numériques, ressemblent à des créations artificielles tout juste dignes de jeux vidéos pour adolescents proprets, installés confortablement sur le canapé de leur salon. Ici, le spectateur est embarqué dans une furieuse épopée, dans des décors hallucinants, au milieu des gueules les plus improbables que l'on puisse imaginer, au ras d'un sol désertique, au plus près des moteurs qui vrombissent, coincé dans le poste de pilotage de monstres métalliques, respirant presque les nuages de sable et de fumée qui obscurcissent le ciel. Cette course poursuite, sans doute la plus interminable de l'histoire du cinéma, est époustouflante de réalisme, de sauvagerie, délirante d'inventivité visuelle.
Mais après cette constatation ? Que reste-t-il ? Une vision de l'homme réduite à un infantilisme consternant. Un étalage de violence primaire pour elle-même, sans aucun germe visionnaire pour justifier la folie délirante qui inonde le film du commencement à la fin. Les créateurs semblent se délecter de ce qui peut être trouvé de plus laid, de plus vil, de plus dégradé chez l'homme. Même Quentin Tarentino, dans ses transes les plus sanglantes, parvient à insuffler une parcelle d'humanité à ses personnages. Ici, il n'en apparaît pas une once. Certes, il semble que chez les femmes subsiste une étincelle de reliance avec un éden disparu. Elles pourraient être le vecteur de renaissance d'un monde neuf, vierge, métamorphosé. Mais qu'en est-il réellement ? Furiosa, pour clore sa quête, revient au point de départ, la Citadelle ! Quel renouveau ! Bien sûr, l'immonde Immortan Joe a disparu. Mais toute cette fureur et cette barbarie pour retourner à l'ancien, à ce qui est... Quelle perspective enchanteresse ! "A la recherche du meilleur de nous-mêmes", est-il affiché avant le générique final. Ce meilleur, on le cherche vainement dans cette fresque délibérément sombrissime, épuisante, tétanisante et farouchement bestiale. "Bestiale" est d'ailleurs un terme impropre en l'occurrence, et insultant pour nos frères animaux. Nous sommes ici plongés dans le degré zéro de l'intelligence et de la réflexion, au milieu d'une horde de personnages lobotomisés, dont le cerveau semble avoir oublié depuis belle lurette ce qu'est un neurone. Sans compter que ne s'opère aucune évolution, aucun crescendo dans le processus événementiel. C'est baston dès les premières minutes, baston au milieu, baston jusqu'à la fin, avec un Mad Max à moitié castré qui laisse la part belle (si l'on peut dire !) à une Charlize Theron impériale, mais glaçante.
Il est tout de même inquiétant de voir un consensus de critiques extasiés, focalisés à 100% sur la performance visuelle et le spectaculaire, acceptant, gobant avec avidité et jouissance une sauvagerie primaire, sans que le coeur ou la conscience ne regimbent à aucun moment. Difficile après de s'étonner qu'il y ait toujours une floraison de guerres... Alors, quelle note donner ? Pour le contenu visuel, ce serait presque 7 étoiles. Mais pour ce qui touche le contenant, ce serait du zéro pointé. George Miller est sans nul doute un réalisateur hors pair. Mais en tant qu'humain, créature conjuguant le céleste et le terrestre, il ne montre manifestement ici que la portion la plus basse de sa personnalité...
Bernard Sellier