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Rencontre avec Joe Black,
      (Meet Joe Black),      1998, 
 
de : Martin  Brest, 
 
  avec : Anthony Hopkins, Brad Pitt, Claire Forlani, Marcia Gay Harden, Jake Weber, Jeffrey Tambor,
 
Musique : Thomas Newman

  
   
William Parrish (Anthony Hopkins) est le directeur d'une société de communication qu'il a lui-même créée, et dont il maintient le cap avec une droiture rigoureuse. Veuf depuis plusieurs années, il est très aimé de ses deux filles. Allison, l'aînée, (Marcia Gay Harden), consacre toute son énergie présente à l'élaboration d'une fête somptueuse pour les soixante-cinq ans de son père. Susan (Claire Forlani), interne en traumatologie, est vaguement fiancée avec Drew (Jake Weber), le bras droit de William. Elle fait un jour la connaissance d'un jeune homme (Brad Pitt), qui vient d'arriver à New York et ne connaît personne. Elle sent une étrange attirance pour lui. Peu après l'avoir quitté, il est renversé par une voiture. Pourtant, le soir même, elle a la stupéfaction de le trouver aux côtés de son père, invité comme un intime au repas de famille... 
 
   Les premières impressions qui assaillent le spectateur au cours de la vision de ce film ne sont pas forcément très positives : "Que c'est long" ! "Que c'est lent" ! Et l'intrigue n'est pas vraiment originale" ! Bien qu'initiées par une réaction épidermique primaire, tous ces considérations ne sont pas entièrement fausses. Martin Brest, qui avait, dans sa précédente réalisation : "Le temps d'un week-end", effectué un remake du "Parfum de femme" de Dino Risi, semble ici donner naissance à une photocopie en négatif de "La cité des anges", sortie quasiment en même temps. Pour ce qui est de la longueur et de la lenteur, là aussi, il est impossible de nier l'évidence. Pourtant, ce choix délibéré se révèle, au final, une des multiples composantes troublantes qui impriment à l'oeuvre une marque profondément originale.  
 
   Au fil de cette histoire fantastique, qui prend à plaisir, parfois, la forme d'une romance sucrée, de multiples surprises se détachent, tels des icebergs incongrus sur une mer tropicale. Le surnaturel, base de la construction, ne donne jamais lieu à aucun débordement sensationnel ; les effets spéciaux demeurent au vestiaire et le cours de la vie des protagonistes conserve imperturbablement une apparence normale. L'étirement temporel des scènes est en contradiction totale avec l'instantanéité acérée qui est le propre des interventions de la Camarde. Le choix de Brad Pitt, arborant en permanence un visage où se mêlent compassion, tendresse, mélancolie, ne correspond aucunement à l'image symbolique archétypale sombre, glaciale et menaçante, construite depuis la nuit des temps par l'imaginaire humain. La tragi-comédie semble prendre en permanence, mais sans affectation ni esbroufe, le contre-pied de ce qu'attend le spectateur. Avec beaucoup plus de subtilité et de profondeur que le film de Brad Silberling, qui se plaçait résolument dans la lignée des contes romantiques, l'oeuvre de Martin Brest visite la relation ambiguë de l'homme avec l'au-delà, et l'interaction de ces deux univers qui s'interpénètrent sans que le "nôtre" ait conscience de cette proximité énergétique. La lenteur prend alors le sens de méditation ; la longueur, celui d'illusion temporelle. A la sortie de l'histoire, ce n'est pas la tristesse de la disparition corporelle qui étreint le coeur, mais la découverte subjuguante de la puissance de l'amour. Une banalité ? Peut-être. En théorie. Mais y en a-t-il beaucoup parmi nous qui mettent réellement en pratique cette banalité ? Anthony Hopkins et surtout Claire Forlani, intensément expressive, mélange de fragilité pudique et de passion contenue, sont inoubliables.
   
Bernard Sellier