Le Sacrifice, film de Andrei Tarkovsky, commentaire

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Le sacrifice,
     (Offret),       1986, 
 
de : Andreï  Tarkovsky, 
 
  avec : Erland Josephson, Susan Fleetwood, Allan Edwall, Valérie Mairesse,
 
Musique : Watazumido Shuso, Jean Sébastien Bach

   
   
Alexandre (Erland Josephson), ancien acteur, critique, écrivain, vit avec sa femme dans une lande désertique du nord de l'Europe, au bord de la mer. Le jour de son anniversaire réunit autour de lui Victor (Sven Wollter), médecin qui rêve de tout quitter pour l'Australie, Otto (Allan Edwall) étrange facteur philosophe, ainsi que Julia (Valérie Mairesse). Il y a là également un petit enfant temporairement muet, son fils, ainsi qu'une femme de ménage, Maria (Guðrún Gísladóttir) que l'on dit dotée d'étranges pouvoirs. Brusquement, le sol tremble, des avions passent en vrombissant, le courant est coupé. La télévision annonce une catastrophe indéterminée. Alexandre prie pour les siens... 
 
   Essayez d'imaginer un instant que vous êtes, durant cent trente minutes, devant un spectacle non traduit, donné, dans la pénombre, par une troupe japonaise. Vous aurez un aperçu de cet ovni cinématographique qui a cumulé les récompenses (Grand prix du jury Cannes 1986, Prix de la critique internationale, Prix Orson Welles 1987...). L'œuvre s'ouvre et se clôt sur la vision d'un arbre nu, planté par Alexandre au bord de la mer. Au commencement, celui-ci manifeste ses interrogations par une logorrhée pathologique. A la fin, l'enfant, qui a retrouvé sa voix, pose l'interrogation essentielle de la vie en une phrase. Entre ces deux instants colorés... une longue nuit, en noir et blanc, ( avec beaucoup, beaucoup plus de noir que de blanc ! ), passablement éprouvante ! 
 
   Juste avant le générique final, Andrei Tarkovsky dédie ce film à son fils en plaçant en lui son espoir et sa confiance ! Quelles peuvent être ses émotions en visualisant ce cadeau ? J'aimerais le savoir. Pour ma part, il me paraît être un amas de désespérance et d'obscurité, dans tous les sens du terme ! 
 
   Manifestement, Tarkovsky souhaite donner naissance à une oeuvre philosophique, voire spirituelle. Et, de fait, si la spiritualité émane de la nébulosité, de l'abstraction, de l'hermétisme, d'un amoncellement de questionnements abstrus, de lenteurs qui confinent à l'immobilisme, alors ce film est sans conteste l'un des plus spirituels qui soient ! La suspension du temps, l'immersion dans l'ombre, la plongée au plus profond de soi, peuvent faire naître l'illumination. Qu'en est-il ici ? Une fois passées les vingt premières minutes aérées par la brise de la lande, le spectateur est précipité dans un obscurcissement de plus en plus profond qui atteint parfois l'écran noir. Au détour de personnages vaguement entraperçus, de profils indistincts, d'actes incompréhensibles, de phrases abstruses, de contradictions inexpliquées, sur fond de chants issus de voix d'outre-tombe, on assiste à une espèce de ballet mortuaire dont on ne comprend ni les tenants ni les aboutissants, tant le symbolisme est pesant et hermétique. Il est question de Nietzsche, de réincarnation, de rites, de croyance, de péché... Mais tout cela est fondu dans un tel magma sibyllin qu'un ennui incommensurable plane sur cette fresque funèbre.  
 
   Quel a été l'orientation profonde de Tarkovsky en créant cette oeuvre ? Que vit cet Alexandre qui finit par être emmené à l'asile ? J'avoue ma curiosité de le savoir. L'hermétisme a le défaut majeur d'être impénétrable au non initié ! C'est le propre de sa nature même ! Et, dans ce domaine, "le sacrifice" n'est pas loin de battre un record, tant il pose un nombre incalculable de questions sans apporter aucune réponse... Tout au moins qui me soit perceptible ! 
 
   Sans doute les admirateurs de cette oeuvre ont-ils trouvé la clé qui leur a permis de transcender la lenteur compassée des plans, le brouillard des événements et la confusion des personnages, pour atteindre l'orgasme cosmique d'une révélation ultime... Ce n'est pas mon cas !
   
Bernard Sellier