Amélie (Sylvie Testud) est née au Japon. Son plus cher désir, devenue adulte, est d’obtenir un contrat d’un an dans une grande entreprise nippone, la firme Yumimoto. Elle y parvient et son enthousiasme est grand. Mais, dès le premier jour, elle est confrontée au formalisme très particulier des relations professionnelles qui est institué dans le pays du soleil levant. Les premières missions, ultra primaires, que lui confie Monsieur Saïto (Taro Suwa), se soldent par des échecs répétitifs. Amélie pense trouver une amie en la personne de sa supérieure directe, la superbe Fubuki (Kaori Tsuji). Mais elle n’est pas au bout de ses surprises et de ses épreuves…
Directement tiré du roman autobiographique qui a lancé la carrière littéraire d’Amélie Nothomb, le film se montre fidèle à la forme du récit écrit. La totalité des scènes se déroule en vase clos, et les commentaires en voix off d’Amélie sont omniprésents, installant un rythme alangui qui a le mérite de rendre palpable l’ennui mortel des tâches primaires dont est abreuvée la malheureuse. Heureusement, si l’on peut dire !, cette monotonie mortifère est brisée, ponctuellement, par les éclats pathologiques des cadres nippons, en particulier l’extraordinaire Monsieur Omochi (Bison ( !) Katayama…, ça ne s’invente pas, car après avoir vu le personnage, il ne fait guère de doute que son incarnation précédente a dû se dérouler dans la peau de cet animal…). Personnellement, j’ai été souvent gêné par le doublage des acteurs nippons, et, surtout, par l’interprétation de Sylvie Testud. Si sa gestuelle et son physique sont convaincants, adaptés aux situations ubuesques qui lui sont imposées, le ton qu’elle adopte me paraît l’être beaucoup moins.
L’intérêt majeur de l’œuvre réside bien sûr dans la dissection des comportements hiérarchisés et hyper-codés qui nous semblent plus étrangers et incompréhensibles que ne le seraient ceux d’une colonie de Martiens ! Dans cet univers où chaque geste, chaque mot, chaque regard, sont analysés, pesés, tamisés, selon les us et coutumes millénaires qui président aux rapports humains, la drôlerie la plus extrême le dispute à l’agressivité la plus oppressive. Du haut en bas de la pyramide, chaque pion oscille en permanence entre les positions d’écrasé et d’écraseur. Cet équilibre plus que précaire s’arrête au malchanceux qui se trouve au bas de l’échelle, puisqu’il n’a plus de subordonné sur qui déverser sa bile ! Mais, au-delà de cette analyse consternante, le film plonge également dans la psychologie de son personnage principal, dont l’attitude ambiguë, faite de répulsion, de rejet, d’admiration et d’acceptation, envers la glaciale Fubuki, se révèle aussi riche que subtile et initiatrice.
Il est légitime de regretter la sagesse de la réalisation, ainsi que, éventuellement, certains aspects de l’interprétation, mais globalement, cette descente dans l’enfer des multinationales nippones ne manque pas d’intérêt ! Et n’oublions pas de mentionner, anecdotiquement, l’élégant générique qui se déroule sur le thème des Variations Goldberg de Bach…
Bernard Sellier