Ne pas lire avant d'avoir vu la série... Rockwell, une petite ville tranquille à proximité de Salt Lake city. Le policier Jeb Pyre (Andrew Garfield), sa femme et ses deux filles sont membres de l'église des Mormons. Il est appelé un soir car une jeune femme, Brenda (Daisy Edgar-Jones) et sa fille ont été retrouvés tuées à leur domicile. Le mari, Allen Lafferty (Billy Howle) est retrouvé convert de sang. Confus dans ses explications, et membre lui aussi de la communauté religieuse, il fait figure de suspect principal...
Dès les premiers plans, le spectateur est plongé dans l'univers des SDJ (Saints des Derniers Jours), avec tout ce que cela implique de prières continues, de règles rigoureuses, mais aussi d'entraide entre les membres de la communauté. Les familles sont immenses et celle des Lafferty ne fait pas exception à la règle. Les enfants du patriarche Ammon (Christopher Heyerdahl) sont nombreux. Il y a autour d'Allen, ses frères Samuel (Rory Culkin), Robin (Seth Numrich), Dan (Wyatt Russell), le chiropracteur préféré du père, Ron (Sam Worthington), l'aîné et le préféré de sa mère, tous bardés d'épouses et de nombreux enfants, ainsi que Jacob, un peu simplet. Tout ce petit monde aime les réunions familiales, les festivités internes au clan, mais cela ne signifie pas que les tensions sont absentes. Elles sont même au cœur du récit, engendrées par les jalousies, les rancœurs, mais surtout, comme dans toutes les sectes ou religions, par les différentes versions et interprétations possibles des textes originaux du 'prophète' Joseph Smith, fondateur du Mormonisme. La dérive fatale qui conduit certains membres de la famille Lafferty dans la monstruosité est décrite avec une acuité qui ne quitte jamais le cadre du réalisme. Nous sommes parfois presque dans un documentaire, tant les multiples touches progressives qui ponctuent cette descente aux enfers sont amenées avec une justesse qui doit beaucoup à l'excellence des comédiens. Andrew Garfield, qui par son physique et son visage évoque Anthony Perkins, fait preuve d'une magnétisme impressionnant, qui allie expressivité, sensibilité et sobriété.
Si l'enquête criminelle est la source de la série, il est manifeste qu'elle est accessoire par rapport à la dissection psychologique de cette fratrie. Grâce à de très nombreux flashback parfaitement insérés dans la narration (y compris quelques reconstitutions des débuts du mouvement dans les années 1830), la progressivité de ce qu'on peut appeler les perturbations psychiques de certains frères est décrite avec une justesse et une profondeur qui font froid dans le dos. Il est rare de trouver un film ou une série qui décortiquent avec autant de réalisme et d'efficacité dramatique le basculement d'êtres en apparence stables et heureux aussi bien dans leur famille que dans leur religion, vers un univers dans lequel les valeurs sont inversées au nom de prétendues aspirations vers la quête du paradis. Avec pour prétendue cause première, la levée des impôts et des taxes fédéraux, qui seraient contraires aux lois supérieures édictées par la religion. Le fait d'avoir installé en première ligne un inspecteur, lui aussi membre de l'église mormone, apporte une richesse supplémentaire à ce drame, puisqu'au contact des survivants il va questionner la justesse de sa foi tout en bénéficiant d'une facilité accrue d'approche des suspects. Sous une apparence de plongée dans un microcosme archaïque totalement déconnecté du monde d'aujourd'hui, l'histoire aborde en fait des questionnements essentiels qui sont plus que jamais d'actualité : la valeur de la spiritualité, la place des femmes dans nos sociétés, l'écartèlement entre l'amour terrestre et l'adoration divine, la manipulation des informations, le pouvoir de la foi... Il est souvent dit que celle-ci peut déplacer des montagnes. Il est évident qu'elle est aussi capable de détruire l'humanité et la raison de certains esprits faibles et/ou ignorants.
Une série de première grandeur, exigeante car certains développements sur les enseignements et leurs paradoxes sont longs et ardus à suivre, mais qui est gorgée d'émotion à fleur de peau, et qui allie avec une maîtrise de grande qualité le drame criminel, l'histoire, la religiosité, dans un écrin narratif servi par une distribution idéale.