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Timbuktu,
      2014, 
 
de : Abderrahmane  Sissako, 
 
  avec : Ibrahim Ahmed, Abel Jafri, Toulou Kiki, Hichem Yacoubi, Fatouma Diawara,
 
Musique : Amin Bouhafa

 
   
Kidane (Ibrahim Ahmed) vit sous sa tente, en compagnie de son épouse, Satima (Toulou Kiki), de sa fille Toya (Layla Walet Mohamed) et d'un garçon adopté, Issan (Mehdi A.G.Mohamed), qui garde les huit vaches de la famille. Dans le village proche, les djihadistes armés instaurent leur loi, en interdisant cigarettes, musique... 
 
   La première émotion ressentie à la vue de cette oeuvre, est la fascination. Pour des paysages sublimes de beauté calme, dans lesquels le temps semble suspendu. La lenteur du récit, jamais pesante, contribue grandement à cette impression d'un paradis, dont les habitants ont, au fil des âges, acquis la sagesse de jouir intensément de ce qu'ils ont, c'est-à-dire quasiment rien. Mais, paradoxalement, cette absence de désirs futiles, dont se nourrissent jusqu'à l'overdose les habitants des pays dits "civilisés", leur offre la richesse intérieure de goûter avec intensité le moment présent. Ainsi que leur liberté. Lorsqu'arrive la pierre tombale des dogmes et des contraintes obscurantistes, le cauchemar s'installe dans l'Eden. 
 
   Tel est le motif du filigrane de cette oeuvre. Pourtant, le spectateur occidental, gorgé chaque semaine des récits de violences aveugles perpétrées à travers le monde, et, en particulier, dans plusieurs pays d'Afrique centrale, ne trouve nullement dans ce récit l'écho de ce qu'il a entendu. Certes, deux ou trois pics de sauvagerie brute surgissent dans le quotidien des villageois, avec une intensité bouleversante. Mais ils ne semblent pas capables de déraciner la paix qui inonde la contrée. L'accent est donné sur la résistance des femmes, premières victimes du retour de cette Inquisition moderne. Mais l'humour vient souvent désamorcer la violence annoncée. Au final, c'est un sentiment de résignation qui domine. Les habitants le sont devant les nouveaux despotes armés, Kidane l'est devant le sort qui l'attend en conséquence de son geste. Lorsque le spectateur quitte la salle (qui, soit dit en passant était comble deux mois après la sortie du film), il emporte un sentiment dominant de paix immuable, ponctuellement troublée par l'incursion temporaire de l'ignorance et de l'agressivité. C'est à la fois déconcertant et tranquillisant. L'aveuglement et la haine sont susceptibles de voiler l'amour et l'harmonie qui sont le fondement de la création. Mais ils ne sont qu'une fumée transitoire, telle un vent de sable, qui s'évanouira inéluctablement. Il suffit d'attendre. Tel est le message qui paraît transmis par cette oeuvre inspirée, troublante, exempte de toute surenchère, parfois irradiante de grâce, dont les acteurs sont impressionnants d'authenticité.
   
Bernard Sellier