1 sur 5, film de Karl Zero, commentaire, site Images et Mots

  Bienvenue sur le site d'un manipulateur de mots, passionné d'écriture, de cinéma, de musique, d'ésotérisme...     

1 sur 5,
         2021, 
 
de : Karl  Zero, 
 
  avec : Marie Grimaud, Adrea Bescond, Jacques Thomet, Eugénie Izard, Paul Bensussan,
 
Musique : AudioNetwork


 
Ce documentaire tétanisant de Karl Zero a bien sûr pour mission d'informer le public sur un domaine qui est le plus souvent occulté, mais il est aussi un manifeste pour que les candidats à la prochaine élection présidentielle du printemps 2022 prennent réellement en compte l'ampleur des dégâts physiques, psychologiques et sociologiques causés par ce fléau. 

 Le film commence par un rappel d'autant plus indispensable que, comme sans doute beaucoup d'autres personnes de mon âge, j'avais totalement oublié la facilité, la complaisance, avec laquelle les pédophiles avérés manifestaient leurs penchants il y a une quarantaine d'années sur les écrans. Les émissions de Bernard Pivot, 'Aprostrophes', sont une mine sordide dans laquelle nous découvrons avec quel niveau d'acceptation étaient reçues, à l'époque, les révélations d'un Gabriel Matzneff. Mais les autres émissions n'étaient pas en reste, tout comme les chansons. De Claude François, jusqu'à l'immense Léo Ferré, dont la superbe chanson, 'Petite', ne cache pas les tendances de l'auteur. David Hamilton, Daniel Cohn-Bendit, Roman Polanski, ne dissimulaient pas davantage leurs penchants. L'émission de Bernard Pivot, dans laquelle Eva Thomas livre son témoignage, est à ce sujet édifiante : de nombreux téléspectateurs appellent le standard en avouant sans gêne de multiples incestes intra-familiaux. On est dans un autre monde ! 

 Il est indéniable que les retentissantes affaires des cinq ou six dernières années (Harvey Weinstein, Jeffrey Epstein, Joël Le Scouarnec, Dominique Strauss-Kahn, Olivier Duhamel...) ont permis de libérer la parole de nombreuses victimes et, peut-être, d'instiller dans la population une prise de conscience de l'étendue des dégâts générés par ces pratiques criminelles. Mais, comme le souligne avec insistance et justesse le film, le chemin est encore très long, très pentu, pour que l'indignation légitime se transforme en une mise en oeuvre efficace des moyens de traque et de répression. La difficulté est d'autant plus grande que, manifestement, nombre de hauts responsables aussi bien politiques que judiciaires, voire même experts (Paul Bensussan), traînent des pieds, pour ne pas dire plus, lorsqu'il s'agit de considérer les faits à leur juste valeur : à savoir des crimes contre l'humain. Il est déjà indispensable de s'affranchir des visions passées, souvent aberrantes, prônées par des personnalités aussi éminentes que Freud (son père pratiquait l'inceste envers son frère et ses soeurs !), Françoise Dolto (pour laquelle l'inceste n'existait pas !), ou encore Richard Gardner, créateur du syndrôme d'aliénation parentale, qui considère «que les accusations d'abus sexuels dans le cadre de divorce seraient le plus souvent inventées, et dues à un mécanisme d'autodéfense des mères pour pouvoir conserver la garde de leurs enfants». On croit rêver ! 

 Le documentaire peut être grossièrement divisé en plusieurs parties. La première, comme nous l'avons vu en préambule, est un rappel de l'acceptation quasi générale qui était de mise il y a un petit demi-siècle. On peut mentionner ici, car l'extrait n'est pas présenté dans le film, l'émission 'Aprostrophes' de 1990, dans laquelle seule Denise Bombardier, auteure canadienne, s'était élevée courageusement contre les délires de Gabriel Matzneff, et avait reçu en retour les insultes de ce dernier.

 Une deuxième partie est consacrée à la difficulté qu'éprouvent les victimes pour faire reconnaître leurs agressions. Le droit français considère que c'est au plaignant d'apporter la preuve de ce qu'il a subi. On peut aisément imaginer la difficulté insurmontable pour un enfant de quatre ou cinq ans, traumatisé, apeuré, culpabilisé, de parvenir à franchir cette première montagne. Mais ce n'est que le début puisque, même si le bourreau se retrouve face à la justice, restent à affronter les envolées des avocats et la clémence des juges. Jacques Thomet, spécialiste de l'affaire d'Outreau, auteur d'un récent ouvrage : 'La Pédocratie à la française', rappelle opportunément la manière brutale avec laquelle l'actuel ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, alors avocat des accusés, avait balayé les affirmations des enfants. L'avocate Marie Grimaud développe de manière très claire le parcours du combattant qui attend les victimes. Avec, en obstacle supplémentaire, l'amnésie traumatique qui se manifeste dans un très grand nombre de cas, et se heurte à la prescription lorsque les souvenirs se manifestent trop tardivement.

 Une troisième partie laisse une large part à la parole de celles-ci. Andréa Bescond, réalisatrice du film 'Les chatouilles', a dépeint à merveille dans son oeuvre les traumatismes que peuvent générer les agressions sexuelles subies durant l'enfance, surtout, comme c'est hélas souvent le cas, lorsque la mère (en l'occurrence une glaçante Karin Viard), ferme les yeux devant une réalité insoutenable et ingérable. Camille Kouchner, dans son récent livre 'La familia grande, autopsie d'un inceste', Marie Laforêt, Eva Thomas, toutes ces personnes sont parvenues à mettre des mots sur les souffrances endurées et à livrer sans fard les traumatismes engendrés par ce qui a été subi. Se pose alors la question de la prescription, sur laquelle le législateur demeure, hélas, très prudent et tiède. 

  Dans une quatrième partie, le documentaire se penche sur l'inaction avec laquelle les grandes institutions ont géré ou gèrent le problème. L'Église en premier, avec les développements récents que l'on connaît. Mais aussi l'Éducation Nationale qui, bien souvent, se contente de déplacer les enseignants qui ont été reconnus coupables. L'hôpital, avec l'exemple hallucinant du chirurgien Joël Le Scouarnec qui, malgré une condamnation en 2005, a continué durant presque quinze ans à sévir en toute impunité dans ses services ! Et surtout la DDASS (Direction départementale des affaires sanitaires et sociales), organisme dans laquelle arrivent des enfants déjà victimes de violences familiales, et à l'intérieur duquel vont fréquemment se reproduire les mêmes agressions subies antérieurement. Un cercle vicieux infernal.

 Une cinquième partie se concentre sur les protections dont bénéficient les bourreaux. Nous avions mis sur le site, il y a plusieurs années, le rapport 2012 accablant du C.I.D.E. (Convention Internationale des Droits de l'Enfant), qui mettait en lumière les dysfonctionnements majeurs des organismes policiers et judiciaires. Le message officiel est toujours le même. Quelques prédateurs sexuels sont arrêtés, jugés, mais ils agissent en solitaires. L'existence de réseaux pédo-criminels organisés est un fantasme de journaliste ou de complotiste. Pourtant, la récente affaire Jeffrey Weinstein a montré, sans ambiguïté possible, que ce genre de réseau non seulement existe, mais ouvre grand sa porte à des personnalités politiques, économiques ou artistiques de premier plan. Jeffrey Weinstein serait donc le seul dans le monde à avoir offrir ce genre de service ? C'est une plaisanterie de très mauvais goût. Lorsqu'on prend conscience du nombre de personnes qui sont adeptes de ce genre de sexualité déviante et criminelle, une telle hypothèse est simplement une insulte supplémentaire faite aux victimes. 

 Une mise en lumière de l'inacceptable et de l'ignoble tout simplement indispensable. 

Bernard Sellier