Bienvenue sur le site d'un manipulateur de mots, passionné d'écriture, de cinéma, de musique, d'ésotérisme...     

A.I.,
        (Artificial intelligence),         2001, 
 
de : Steven  Spielberg, 
 
  avec : Haley Joel Osment, Jude Law, Frances O'Connor, William Hurt, Ashley Scott, Brendan Gleeson, Sam Robards, Haley King,
 
Musique : John Williams

 
 
La terre a subi des cataclysmes qui ont bouleversé sa géographie, son climat et le mode de vie de ses habitants. Il faut désormais obtenir un "permis de grossesse" pour avoir un enfant. Martin Swinton (Jake Thomas), fils de Monica (Frances O'Connor) et de Henry (Sam Robards) est cryogénisé car les médecins sont impuissants à le guérir. Pour soulager la souffrance de sa femme, Henry décide un jour d'adopter David (Haley Joel Osment), un garçonnet de l'âge de leur enfant. D'abord horrifiée, Monica finit par accepter le "présent" de son mari. Car David est en réalité un robot de dernière génération, à la perfection quasiment humaine... 
 
 La découverte de "A.I." se fit d'abord par sa bande-annonce, tout au moins l'une d'elles : là où les réalisateurs assènent le plus souvent un assourdissant fatras d'images clipesques, dont l'oeil est à peine capable de distinguer les objets et les personnes, tant le montage confond modernité branchée et maladie parkinsonienne, Spielberg offrait une pure merveille de sobriété, d'intelligence et de sensibilité. Ensuite, ce fut l'entrée dans le monde futuriste visité par Steven le visionnaire, juste avant l'excellent "Minority report". Etrange voyage, c'est le moins que l'on puisse écrire ! Déconcertant, irritant, fascinant... Modèle de nunucherie pour les uns, merveille d'imaginaire romantique pour les autres... Il est vrai que le spectateur est confronté à une suite de trois univers créatifs aussi variés que parfois désarmants. 
 
 Tout commence dans un monde, futuriste, certes, mais parfaitement identifiable par notre sensibilité contemporaine. Une famille normale, qui tente de survivre au drame qui a frappé leur fils. L'irruption du personnage de David, pour artificiel qu'il soit en théorie, puis le retour de Martin, ne font que mettre à nu les douleurs, jalousies, manipulations, émotions ordinaires, que vivrait, dans les mêmes circonstances, un enfant adopté. C'est du mélo, diront les détracteurs. Certes. Mais il est quasiment impossible de ne pas se laisser capturer par l'émotion de ce mélo, qui, de fait, ferait fondre le coeur d'un rocher, tant la profondeur du sujet abordé, la sensibilité de Spielberg, et la personnalité intensément expressive de Haley Joel Osment (qui semble bien absent des grandes oeuvres récentes !), se conjuguent à merveille pour mettre à genoux les coeurs les plus desséchés.  
 
 Puis c'est un changement radical qui nous attend dans la seconde partie. Le cocon familial s'est désintégré pour se voir remplacé par un environnement extravagant, sauvage, psychédélique, dans lequel les robots sont pourchassés par les humains pour devenir les attractions de jeux du cirque futuristes. Spielberg donne libre cours à son délire inventif et offre au spectateur quelques séquences mémorables : les automates déglingués cherchant dans la décharge des pièces susceptibles de remplacer avantageusement un bras arraché ou un oeil absent ; la stupéfiante "foire de la chair" ; le décor de "Rouge", la ville de tous les plaisirs ; ou encore l'antre du Docteur "Sait tout"... Autant de moments insolites, déconcertants, fascinants, avec un "Gigolo Joe" (Jude Law) extravagant en pourvoyeur suprême d'amour charnel. Malgré cette plongée bruyante, agitée, qui tranche totalement avec l'intimisme de la première partie, Spielberg conserve le cap qu'il a dessiné initialement : la quête de l'humanisation vraie. Naissance de l'émotion, de l'attachement, de l'amour, désir d'être unique, se fondent maintenant avec le pouvoir créateur de l'illusion, de la mémoire, de la confiance... Enfant jusque dans ses rêves et désirs, David poursuit l'impossible sans concevoir un instant que sa quête est utopique.  
 
 Arrivé à ce stade d'immersion dans le conte, dans l'irréel absolu, le spectateur peut, avec raison, s'inquiéter du dénouement qui se prépare. L'infantilisme intégral noiera-t-il sans rémission l'imaginaire fiévreux qui, à ce moment, tangue dangereusement sur une corde raide ? Ce serait méjuger du talent de Spielberg qui, malgré son âme d'adolescent ébloui par les chimères, est toujours visité par les ailes du génie. Il résout la quadrature du cercle dans une troisième partie éthérée, qui marie émotion et science avec une intelligence confondante. 
 
 Cela dit, il faut reconnaître que cette oeuvre est exigeante pour être savourée. Il est nécesssaire d'abandonner à la porte son mental, sa réflexion, sa conception mature et raisonnable de la réalité perçue. Il est indispensable de laisser ressurgir l'enfant que nous avons été, avec son pouvoir créateur illimité, qui donne à l'imaginaire une actualité physique authentique. Alors, l'identification avec les composantes psychologiques de David, aussi étrangères soient-elles au monde sensé de l'adulte, peut se réaliser. Et, dans cette éventualité, l'oeuvre de Spielberg se révèlera une merveille de sensibilité.
   
Bernard Sellier