Un air de famille, film de Cédric Klapisch, commentaire

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Un air de famille,
        1995,  
 
de : Cédric  Klapisch, 
 
  avec : Jean-Pierre Bacri, Catherine Frot, Agnes Jaoui, Jean-Pierre Darroussin, Vladimir Yordanoff, Claire Maurier,
 
Musique : Philippe Eidel, Donizetti


 
Lire le poème ( CinéRime ) correspondant : ' Fausses notes '

 
Vendredi soir. Comme chaque semaine, le bar du "Père tranquille", perdu dans un coin désertique de la banlieue, tenu par Henri (Jean-Pierre Bacri), assisté de son serveur Denis (Jean-Pierre Darroussin), voit la famille se réunir pour le sempiternel repas dominical. Il y a là Philippe (Vladimir Yordanoff), le frère "qui a réussi", Yolande (Catherine Frot), sa femme, Betty (Agnès Jaoui), la soeur rebelle, et la mère (Claire Maurier). Mais, ce soir-là, trois événements majeurs viennent perturber l'atmosphère. Arlette, la femme d'Henri, a décidé de quitter son mari une semaine pour "réfléchir", Yolande fête ses 35 ans, et Philippe est fort angoissé de sa prestation dans le journal télévisé régional... Il va y avoir de l'électricité dans la salle... 
 
 Si le terme de "comédie dramatique", souvent appliqué hâtivement à des oeuvres en demi-teinte, ni franchement drôles, ni réellement tragiques, retrouve une fois sa signification profonde, c'est bien ici. En une heure et demie sont concentrés toutes les souffrances, les non-dits, les désespoirs secrets, les frustrations, les rancoeurs, les jalousies, qui gangrènent la majorité des relations familiales. Qui d'entre nous ne ressent aucune résonance avec l'un de ces personnages ? Que ce soit la mère inconsciente de ses préférences ; le fils, considéré par tous comme un imbécile, rongé par un sentiment d'infériorité permanent, qui rumine dans son arrière boutique la désolation d'une vie ratée ; la fille, inexistante puisque écrasée par ses deux frères, qui tente d'échapper au néant par une agressivité anarchique ; le fils déclaré "brillant", totalement incapable d'assumer sa place de leader familial ; l'épouse frustrée qui a toujours courbé l'échine devant le mâle commandant... 
 
 Et... miracle de l'écriture, du jeu des comédiens, surgit de cet amoncellement de détresses, de cette noirceur permanente, une drôlerie qui ne l'est pas moins ! Un rire parfois jaune, certes, mais qui éclabousse et lave à grande eau nos certitudes et nos sentiments de supériorité. A travers des répliques acérées, des regards percutants, des gestes inachevés, des jeux de miroirs, et une justesse miraculeuse, le spectateur jouit, hilare, de ces rapports pathologiques qui ont l'immense avantage d'appartenir à d'autres que lui-même. Le décor, parfaitement hideux et étouffant, reflet de la médiocrité apparente de ceux qui l'investissent, contribue grandement à l'établissement d'une atmosphère débilitante, propice à l'étalage des griefs, des colères, des silences et des coups bas que vont s'échanger les acteurs pendant cette mémorable soirée. Bacri, Jaoui, Darroussin, le témoin "sensé", Yordanoff, Maurier, sont, à leur habitude, excellents. Mais la découverte est évidemment le personnage lunaire, incarné miraculeusement par une Catherine Frot divine, grandiose dans l'effacement comme dans les naïvetés incongrues. De cette dissection à vif de nos incapacités communicatives et de nos autismes inconscients, n'émerge que bien peu de lumière, si ce n'est, à l'extrême fin, un vague espoir que, peut-être, un germe d'humaine compréhension a vu le jour... Mais si ténu que sa croissance justifie beaucoup d'inquiétudes... 
 
 Moins travaillé et profond que le tout récent "Comme une image", le film est cependant un régal.
   
Bernard Sellier