Comme une image, film de Agnès Jaoui, commentaire

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Comme une image,
     2004,  
 
de : Agnès  Jaoui, 
 
  avec : Jean-Pierre Bacri, Marilou Berry, Laurent Grévill, Keine Bouhiza, Virginie Desarnauts, Agnès Jaoui,
 
Musique : Philippe Rombi, Mozart, Monteverdi...

   
 
Étienne Cassard (Jean-Pierre Bacri) est un écrivain à succès. L'un de ses ouvrages vient d'être porté (médiocrement), à l'écran. Il est l'époux de la belle et blonde Karine (Virginie Desarnauts) et père d'une fille d'un premier mariage, Lolita (Marilou Berry). Mais Lolita est grosse, mal dans sa peau, en demande perpétuelle de reconnaissance, et tout cela pèse à Etienne qui se préoccupe davantage de son ego que de son enfant. Pour donner un sens à sa vie, la jeune fille prend des cours de chant auprès de Sylvia Millet (Agnès Jaoui), dans le but de préparer un concert avec quelques collègues. Lorsque Sylvia apprend que Lolita est la fille de Cassard, qu'elle admire beaucoup, son intérêt pour l'élève décuple. Accompagnée de son mari, Pierre (Laurent Grévill), qui cherche lui aussi à percer dans le domaine littéraire, Sylvia devient intime de la famille Cassard... 
 
 L'atmosphère générale, le mordant des dialogues, le jeu des acteurs, signent instantanément la marque de fabrique Bacri-Jaoui. Par de nombreux aspects stylistiques tout autant que par le sujet, nous sommes dans la continuité des grands succès du tandem : "Cuisine et dépendances", "Un air de famille", "Le goût des autres"... Un naturel exceptionnel dans le jeu des acteurs, une intrusion chirurgicale dans un monde de cadavres vivants dont le brillant superficiel ne résiste pas plus de quelques minutes aux coups de boutoir de la vie quotidienne, un va et vient de fantoches dérisoires qui tournent en rond dans leur mélasse sans trouver la porte de sortie... L'exemple parfait de confrontations pathologiques qui feraient le régal de Jacques Salomé.  
 
 À l'image de ses devanciers, ce film est foncièrement pessimiste. Quasiment tous les personnages sont emprisonnés dans leur infime constellation intérieure et ne communiquent avec celles des autres que par l'agressivité, le repli, la moquerie, ou l'hypocrisie. Et, paradoxalement, le spectateur rit beaucoup (souvent jaune) de cette valse de pantins dans lesquels nous pouvons tous nous reconnaître. Si certains réalisateurs se sont spécialisés dans les monstres qui assassinent à tour de bras, le couple Bacri-Jaoui est devenu le professionnel de la répartie qui tue, le virtuose dans l'art d'exciter les zygomatiques grâce à des individus désespérés.  
 
 Une évolution, déjà sensible dans "Le goût des autres", s'affirme ici. Nous avons quitté le petit cercle de famille qui se réunissait chaque semaine au café de banlieue, pour plonger dans un univers psychologique plus complexe, à la symbolique plus développée. Les bons mots ne sont plus le seul but du jeu des marionnettes. Une descente subtile dans la souffrance individuelle s'opère et, à ce titre, le personnage meurtri de Lolita, esquissé avec une sobriété juste, est une émouvante réussite. Tous les êtres qui l'entourent, de son père à Sylvia, en passant par Pierre, Vincent (Gregoire Oestermann) ("profession : souffre-douleur" !), Edith (Michèle Moretti), sont, eux aussi, englués dans leurs blocages psychologiques, leurs souffrances non cautérisées. Et si une mince lueur d'espoir pointe à la dernière image du film, elle est due au personnage de Rachid-Sébastien (Keine Bouhiza), sorte d'électron libre dans cette galaxie d'atomes statiques.
   
Bernard Sellier