Alexandre, (Alexander), film de Oliver Stone, commentaire

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Alexandre,
        (Alexander),           2004, 
 
de : Oliver  Stone, 
 
  avec : Colin Farrell, Angelina Jolie, Jared Leto, Val Kilmer, Anthony Hopkins, Connor Paolo, Brian Blessed, Christopher Plummer,  
 
Musique : Vangelis

 
 
323 avant J.C. Le vieux Ptolémée (Anthony Hopkins) revoit le parcours hors normes d'Alexandre le Grand (Colin Farrell), qu'il a accompagné durant plusieurs années lors de ses campagnes. Fils du roi de Macédoine Philippe (Val Kilmer), borgne, ivrogne, violent, despotique, coureur, Alexandre, enfant (Connor Paolo), est élevé et choyé par sa mère Olympias (Angelina Jolie), ce qui n'est guère du goût de son père. Devenu adulte, la rupture est consommée lorsque Philippe veut prendre pour épouse la fille d'Attale (Nick Dunning), Eurydice. Peu après, Philippe est assassiné et Alexandre lui succède sur le trône. Il entreprend alors une campagne contre le tout puissant Darius (Raz Degan), roi des Perses. Le choc a lieu à Gaugamèle. Les Grecs ne sont que 40 000 contre 250 000 Perses. Mais cette disproportion ne fait qu'enflammer Alexandre, âgé de 21 ans seulement !... 
 
 Avant d'entrer quelque peu dans le détail, considérons simplement deux faits : "Alexandre" est sorti quasiment en même temps que "Troie" de Wolfgang Petersen, et, sur le site d'IMDB, "Bible" des cinéphiles, la cotation, à ce jour (25-08-2005), est sans appel : 5,5 pour le film d'Oliver Stone, 7 pour celui de Petersen. Etonnant ! Quant aux critiques français, ce serait presque encore pire ! Entre " entreprise boursouflée", "machine de guerre catastrophique", "peplum raté" ou encore "degré zéro dans la mode du neo-peplum", les qualificatifs ne font pas dans la dentelle !  
 
 L'approche cinématographique de ces deux légendes est évidemment fort différente. Dans un raccourci simpliste et réducteur, on pourrait les caractériser de la manière suivante : "Troie" est une mise en images classique d'une épopée mythologique, ponctuée de belles incursions intimistes (Hector, principalement). "Alexandre" est une mise un images de l'intimité d'un héros, ponctuée de superbes épopées guerrières. Dans le numéro 113 des "Années Laser", Oliver Stone donne une intéressante interview et l'une de ses phrases résume parfaitement son intention : "Un héros, c'est un homme qui se conquiert lui-même et qui offre en héritage au monde sa propre conscience". La conséquence première est que l'humanité d'un personnage, dont l'histoire ne retient que la destinée conquérante, est loin d'être linéaire, glorieuse, séraphique, conforme à la pureté que l'on aimerait attacher aux "grands hommes". La seconde conséquence est que le réalisateur a privilégié la descente dans les tourments intérieurs au détriment d'une fresque épique. Les deux grands moments bellicistes du film, Gaugamèle au début, et plus encore la bataille indienne contre les éléphants à l'extrême fin, sont des boucheries peu glorieuses, qui, loin d'amplifier l'aura mythique d'Alexandre, contribuent à lézarder la noblesse de sa stature.  
 
 Dans les longues séquences qui entourent ces deux moments frénétiques, le récit plonge dans le coeur et l'âme d'un être hors normes. Cette introspection intense, bouillonnante, fiévreuse, peut légitimement dérouter le spectateur, habitué aux rythmes haletants des épopées, qui, d'ordinaire, font peu de cas des tourments psychologiques, surtout lorsque le sujet est un surhomme ou un demi-dieu ! Nombre de commentaires peu élogieux (c'est un euphémisme !) ont ironisé sur le choix et la prestation de Colin Farrell dans le rôle titre. Il ne fait aucun doute que son physique ou son incarnation sont à cent lieues du monolithisme brutal et impérial véhiculé par le Maximus de Russell Crowe dans "Gladiator". Pourtant, si l'on accepte bien sûr la vision que livre Oliver Stone, peut-on imaginer acteur plus en osmose avec la complexité viscérale du personnage ? Que ce soit dans la prestance du meneur d'hommes, dans la faiblesse du jeune homme blessé, dans l'ambivalence de ses élans amoureux, dans la violence des accès de folie, dans la sensibilité, l'exaltation, il entre en résonance avec toutes ces composantes diverses, contradictoires, antagonistes, et devient l'incarnation inoubliable, intime, d'un héros humanisé. Au prix de quelques lenteurs, c'est vrai, mais toujours gorgées de richesses visuelles et psychologiques, a-t-on jamais exploré avec une telle acuité le foisonnement intérieur, le maelström de tendances antinomiques, qui fait passer un être de l'état d'enfant fragile à celui de visionnaire incompris ? Tour à tour hésitant, exalté, sauvage, halluciné, mystique, angoissé, mais soutenu dans les pires moments par une inspiration, un rêve révolutionnaire (réconcilier Grecs et Barbares, et, plus encore, progresser vers une égalité humaine), il se heurte à ses proches, qui ne le suivent que par admiration pour le chef qu'il est, mais sont totalement hermétiques et opposés à son idéal. Loin d'être des faire valoir, ils sont pour la plupart (Ptolémée, Parmenion, Philotas, Cleitus...), de véritables personnalités, évolutives, suffisamment riches pour former un écrin fertile au cheminement intérieur et public d'Alexandre. Sans parler, bien évidemment, d'Olympias (étonnante Angelina Jolie, environnée de serpents), qui souffle l'ombre et la lumière, mêle intimement l'amour et la haine, et d'Hephaistion (Jared Leto), compagnon fidèle du héros et, peut-être seul coeur qui l'ait compris, totalement accepté.  
 
 Oliver Stone aime incontestablement ce personnage dans son mélange de noirceur et de lumière. La fresque qu'il nous livre n'est pas de celles qui enjolivent, qui masquent à coups de plaques d'or rutilantes les failles et les folies d'un héros. Il nous offre celui-ci dans ses courts instants de gloire et ses longues plongées dans la boue. Mais le résultat est à la dimension du paradoxe : l'Achille de Brad Pitt sera vite oublié dans la galerie des personnages lisses et orthodoxes. L'Alexandre de Colin Farrell, mi-ange, mi-démon, prendra une place inexpugnable dans le panthéon des créatures surhumaines à la personnalité et au destin démesurés. 
 
 N'oublions pas de mentionner la somptueuse bande originale de Vangelis, qui sait se faire aussi discrète dans les moments intimistes que péremptoire dans les séquences agitées !
   
Bernard Sellier