L'Armée des Ombres, film de Jean-Pierre Melville, commentaire

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L'armée des ombres,
        1969, 
 
de : Jean-Pierre  Melville, 
 
  avec : Lino Ventura, Simone Signoret, Jean-Pierre Cassel, Paul Crauchet, Serge Reggiani, Paul Meurisse, Christian Barbier,
 
Musique : Eric Demarsan


 
La seconde guerre mondiale, 1942. Philippe Gerbier (Lino Ventura) est arrêté et incarcéré dans un camp de détention français. Alors qu'il envisage de s'évader en compagnie d'un jeune détenu communiste, il est conduit auprès des autorités allemandes. Il parvient à s'échapper, se rend à Marseille où il retrouve son ami Felix (Paul Crauchet). Ils procèdent à l'éxécution de celui qui a vendu Gerbier. Jean François Jardie (Jean-Pierre Cassel) exécute une mission à Paris auprès de Mathilde (Simone Signoret). Il en profite pour rendre visite à son frère Luc (Paul Meurisse), qu'il considère comme un planqué... 
 
 Nous sommes ici à l'opposé du prodigieux, de l'exceptionnel décrit par exemple dans "Le Jour le plus long". Pas de débarquements en masse, pas de batailles monstrueuses, pas de pluies d'obus. Jean-Pierre Melville, adaptant l'oeuvre de Joseph Kessel, a choisi d'explorer l'envers du décor habituellement présenté. Aucune action d'éclat, aucun sabotage soigneusement minuté, simplement la vie quotidienne d'hommes et de femmes ordinaires, précipités, par la force des événements et par leur conscience intérieure, dans une lutte souterraine. Dès lors, c'est un intimisme rude, ascétique, qui baigne en permanence le récit. C'est dans une atmosphère de pluie, de nuit et de brouillard, filmée en couleurs ternes qui s'apparentent souvent à du noir et blanc vaguement teinté, qu'évoluent ces quelques personnages emblématiques d'une France qui avait choisi de refuser l'anéantissement. A travers le drame de ces marginaux, sans que jamais le spectaculaire pointe, le quotidien de la Résistance devient immédiatement perceptible, profondément émouvant. Leur lot, c'était bien sûr la lutte contre l'occupant. Mais c'était aussi et surtout la solitude glacée, l'angoisse permanente de la dénonciation, la coupure inéluctable avec les autres membres de la famille (la scène silencieuse au cours de laquelle Jean François emmène à bord du sous-marin le patron "inconnu" est à ce titre poignante), les choix cornéliens. Le frère d'armes d'hier devient la cible à abattre si, par malheur, il a été capturé par l'ennemi. La question se pose parfois d'arriver à déterminer les facteurs qui font d'une réalisation un chef d'oeuvre. L'un d'eux réside peut-être dans le génie de générer la richesse, que celle-ci soit psychologique, spirituelle, émotionnelle, avec un minimum de moyens. Nous sommes ici à l'opposé de la prolifération verbale de "Leon Morin prêtre". Et pourtant, l'étirement du temps, le poids des silences, les regards échangés, nous en apprennent autant sur la souffrance intime des membres de la Résistance que pourrait le faire un ouvrage entier.  
 
 Une exceptionnelle méditation sur le déchirement intérieur que peut vivre l'être humain en des circonstances extrâmes. Le mot qui résume sans doute le mieux cette oeuvre est : dignité.
   
Bernard Sellier