Bird people, film de Pascale Ferran, commentaire

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Bird people,
        2014, 
 
de : Pascale  Ferran, 
 
  avec : Josh Charles, Anaïs Demoustier, Roschdy Zem, Geoffrey Cantor, Camelia Jordana, Radha Mitchell,
 
Musique : Béatrice Thiriet


 
Ne pas lire avant d'avoir vu le film

 
À l'aéroport de Roissy CDG, arrive un informaticien américain, Gary Newman (Josh Charles). Il doit assister à une importante réunion et repartir le lendemain pour Dubaï, afin de participer à une implantation très importante. Mais, durant la nuit, il décide brusquement de changer le cours de son existence. Tandis qu'il met en place ce changement radical, une jeune femme de ménage, Audrey Camuzet (Anaïs Demoustier), va vivre une étrange expérience... 
                                                             
 Nous retrouvons ici les qualités qui brillaient dans l'adaptation de "Lady Chatterley", voici neuf ans. Une délicatesse constante, une approche intimiste des personnages, et, manifestement, une grande tendresse pour eux. Après avoir visité les cogitations mentales d'une multitude de créatures humaines qui se rendent à leur travail, le récit se polarise sur deux d'entre elles, en prenant soin de séparer distinctement les parties qui leur sont consacrées. 
 
 La première moitié du film est focalisée sur le jeune informaticien américain. Avec une lenteur calculée, la narration suit son parcours physique, mais également les dérèglements émotionnels qui vont le conduire à prendre une décision radicale. Merveilleusement servi par l'incarnation subtile et sobre de Josh Charles, ce séisme vivanciel, observé avec une authenticité humaine aussi discrète que probante, se clôt sur une rupture bouleversante via skype. Nous sommes dans le classique, mais un classique profondément touchant. 
 
 La seconde moitié commence de la même manière. Mais, brutalement, le spectateur est plongé dans une volte-face narrative fondamentale, qui pourrait postuler pour une palme de l'insolite. Dans un premier temps, la surprise cloue toute réaction mentale. Puis, le phénomène se développant sur la durée, naissent des réactions épidermiques et émotionnelles qui, bien sûr, varieront avec les individus. Il faut reconnaître que, même pour ceux qui n'auront pas de rejet, un temps d'adaptation à l'inconfort rationnel généré par le récit est nécessaire. L'envie de décrocher survient parfois, accompagnée de questionnements stupides, du genre : "qu'est-ce que c'est que ce délire ?"... Pourtant, devant la spontanéité naïve, la singularité poétique, la légèreté bienveillante, qui baignent cette phase aérienne, la raison n'éprouve aucune honte à rendre les armes. D'autant plus que, une fois la surprise digérée, l'interprétation mentale peut reprendre pied, et se mettre à l'oeuvre pour livrer ses interprétations du phénomène. Par exemple, tous ceux qui pratiquent une méditation non-duelle pourront voir dans cette expérience une représentation visuelle de leur apprentissage : devenir observation du monde phénoménal, sans aucun jugement, identification, sans la moindre appropriation de ce qui n'est qu'agitations, expressions éphémères. 
 
 La juxtaposition de ces deux expériences surprend au premier abord. L'une est hyper classique, vécue par des millions de personnes, même s'il est rare qu'elles conduisent leur besoin de libération jusqu'à une extrémité aussi absolue. La seconde est pour le moins rare. Mais, au bout du compte, ne se rejoignent-elles pas dans leur aspiration libertaire ? La manifestation de la première se maintient dans le monde matériel. Celle d'Audrey se situe dans une rupture intérieure que reconnaîtront sans peine ceux qui ont vécu une sortie hors du corps. 
 
 Une œuvre à la fois conventionnelle et intensément déroutante, qui ne peut que laisser une empreinte durable dans la mémoire du cinéphile.
   
Bernard Sellier