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Bodies,
      Saison 1,      2023, 
 
de : Paul Tomalin, 
 
  avec : Amaka Okafor, Kyle Soller, Jacob Fortune-Lloyd, Shira Haas, Stephen Graham,
 
Musique : Jon Opstad 

 Ne pas lire avant d'avoir vu la série...
 
 
DAlors qu'une manifestation contre l'IRA a lieu à Londres, une policière, Shahara Hasan (Amaka Okafor) découvre le corps dénudé d'un homme apparemment blessé par balle. Elle poursuit un jeune garçon, Syed Tahir (Chaneil Kular Chaneil Kular), qui se trouvait, un pistolet à la main, près du corps. Mais il disparait. Peu de temps après, elle parvient à obtenir un entretien avec lui, grâce à sa sœur, mais au moment où la police arrive, il se suicide après avoir prononcé une phrase bizarre...
 
 À la lecture de ce résumé du début, on a l'impression que nous avons affaire à une banale histoire déjà vue mille fois. Monumentale erreur ! Parce que, lorsqu'arrive ensuite une scène à peu près semblable en 1941, puis en 1890, et enfin en 2053, il devient évident que cette intrigue ne sera pas conventionnelle. Ce qui ne l'est pas non plus, ce sont les circonstances dans lesquelles se produisent ces découvertes, ainsi que le secret qui est imposé à tous ceux qui désirent enquêter sur ce mystère. Un mystère d'autant plus profond que les morts semblent avoir tous reçu une balle dans l'œil, mais qu'on ne retrouve aucune d'entre elles dans leur crâne, pas plus qu'un  orifice de sortie. Et ce n'est là qu'une infime partie des surprises qui émaillent ces huit épisodes. Ce qui est tout à fait remarquable, c'est que les scénristes ont réussi l'exploit d'équilibrer de façon parfaite l'aspect inventif et fantastique avec une dramaturgie intime à la fois profondément émouvante et constamment vraisemblable. Quelle que soit la période considérée, les personnalités affichent un magnétisme accrocheur qui intrigue et bouleverse. Le fragile et sensible Alfred Hillinghead (Kyle Soller) en 1890, le beau gosse ambigu et rageur Charles Whiteman (Jacob Fortune-Lloyd) en 1941, la téméraire Shahara Hasan (Amaka Okafor) en 2023, et la charismatique Iris Maplewood (Shira Haas) en 2053, toutes et tous sans exception marquent le spectateur aussi bien par leurs drames intérieurs que par leurs personnalités hors du commun. Les évènements qui s'abattent sur eux, ainsi que les impacts sur leurs existences, s'insèrent de manière logique et judicieuse dans le contexte historique et social de leur époque (l'homosexualité d'Alfred, considérée comme pénalement condamnable en 1890, la judéité de Charles dissimulée dans la Grande Bretagne de 1941, ou encore la guérison permise à Iris, atteinte d'un handicap gravissime, à la condition qu'elle devienne un mouton servile du pouvoir).  

 Assurément, l'histoire est complexe et demanderait au moins deux visions pour que tous les éléments temporels se mettent en place dans notre cerveau. Le concept de transport dans le temps n'est pas nouveau, et chacun de nous a dans sa mémoire la réussite jouissive de la trilogie «Retour vers le futur». Les théories du savant Gabriel Defoe (Tom Mothersdale) font penser aux conceptions récentes du physicien Philippe Guillemant sur les possibles interactions du passé et du futur. Mais le scénario réussit ici la performance de renouveler le thème, en y introduisant la folie d'un démiurge qui fait plus d'une fois penser à ces soi-disant élites qui veulent nous imposer un Nouvel Ordre Mondial. Cerise sur un gâteau déjà plus que goûteux, la réalisation se montre elle aussi inventive, usant, avec modération, de découpages de l'écran, et faisant apparaître les changements d'époque comme si un tiroir se refermait pour que le nouveau s'ouvre. Ajoutons que les reconstitutions d'époque sont tout à fait convaincantes et que la construction de l'intrigue s'opère avec une intelligence permanente et une progressivité sans faille. Il est certain que la phrase récurrente prononcée tout au long de la série par une multitude de personnages, «Sachez que vous êtes aimé», s'incrustera dans la mémoire de tout spectateur de façon indélébile. 

 Cette série arbore des ambitions narratives et visuelles de haut niveau, mais elle les maintient au sommet tout au long du récit. Parvenir à fusionner à ce point l'inventivité scénaristique et les drames émotionnels intimes relève du génie. Un véritable choc !
  
  Bernard Sellier