Bons baisers de Bruges, film de Martin McDonagh, commentaire

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Bons baisers de Bruges,
       (In Bruges),       2008, 
 
de : Martin  McDonagh, 
 
  avec : Colin Farrell, Brendan Gleeson, Ralph Fiennes, Clémence Poésy, Eric Godon, Thekla Reuten, Jérémie Renier,
 
Musique : Carter Burwell

   
 
Ray (Colin Farrell) est un jeune tueur à gages. A la suite d'une bavure lors d'un contrat londonien, et en compagnie de son "formateur", Ken (Brendan Gleeson), il est envoyé par son commanditaire, Harry Walters (Ralph Fiennes), dans la ville de Bruges. Les deux hommes parcourent la ville en attendant les ordres du "patron". Ray fait la connaissance d'une charmante jeune fille, Chloë Villette (Clémence Poésy)... 
 
 Au rayon des évidences incontestables, une première est à noter : les cinéphiles qui s'attendent à assister à un spectacle mouvementé, haletant, façon "La mémoire dans la peau" ou même le premier James Bond venu, peuvent sans regret passer leur chemin. Le film n'est pas destiné à combler leurs attentes. A vrai dire, il ne se passe pas grand chose durant la première heure, tout au moins sur le plan strict de l'action. Nos deux tueurs esseulés visitent la romantique ville de Bruges (un personnage à part entière dans l'histoire), et nous les suivons, stupéfaits du plaisir qui accompagne ces pérégrinations pépères. Plaisir réel, car très rapidement s'impose une seconde évidence : il est rarissime de voir confrontés, associés, avec autant de calme aplomb, l'humour décalé et le drame, la violence brute et l'humanité, le rire et la mélancolie profonde, les valeurs nobles de l'amitié, du respect, avec la fonction de tueur à gages, tout cela sans que les opposés se phagocytent ou sombrent dans le ridicule ! Et c'est justement à cet improbable miracle d'équilibre en apesanteur que se hisse l'oeuvre ! Unité de lieu, de temps, d'action, mais surtout de ton, car tous les protagonistes, qu'ils soient principaux ou très secondaires (Marie (Thekla Reuten), Yuri (Eric Godon), Eirik (Jérémie Renier)), jouent tous la même musique décalée dans ce psychodrame aux enjeux subtilement absurdes. 
 
 Très écrit (trop, argueront peut-être nombre de spectateurs), très intelligemment conduit, constellé de dialogues faussement simplistes, capable de passer en une fraction de seconde de la comédie au drame, de l'irréel décalé au réalisme le plus brutal, le film parvient à captiver dans tous les registres qu'il explore. Même la visite de Bruges (ce "trou du cul du monde", dixit Ray), en compagnie d'un nihiliste dépressif et d'un fondu de culture médiévale, est un moment d'excitation permanent. Peuplée de personnages pittoresques mais jamais ridicules, à la fois émouvante, voire ponctuellement poignante, sensible, émoustillante, toujours surprenante, habitée par un Colin Farrell profondément expressif, l'oeuvre permet aussi de découvrir un Ralph Fiennes intégralement déjanté, virant à la vitesse de l'éclair du franchement hilarant au profondément inquiétant, qui conjugue un sens de l'honneur plus que particulier à une délectation de la grossièreté en total décalage avec la rigidité compassée de son visage. Et tout cela accompagné par une composition originale, au piano, de Carter Burwell. 
 
 Dans le genre, une réussite totale !
   
Bernard Sellier