Caligula, (Caligola), film de Tinto Brass, commentaire

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Caligula,
     (Caligola),     1979, 
 
de : Tinto  Brass, 
 
  avec : Malcolm McDowell, Helen Mirren, Teresa Ann Savoy, Peter O'Toole, John Gielgud, Donato Placido,  
 
Musique : Bruno Nicolaï, Aram Khatchaturian, Sergeï Prokofiev

   
 
La vie du vieil Empereur Tibère (Peter O'Toole) touche à sa fin. Celle-ci accomplie, Caligula Caius Germanicus Cesar (Malcolm McDowell) prend une suite qui s'annonce sous des auspices plutôt sombres. Sa raison, déjà vacillante ne va pas tarder à l'emmener sur les rives du délire total... 
 
 Sans doute une expérience unique dans le cinéma, ne serait-ce qu'en raison des moyens colossaux qui ont été mis en oeuvre pour ce qui pourrait apparaître, a priori, comme une simple incursion du porno dans le monde antique. ( Pour ceux qui désirent connaître les tenants et les aboutissants de cette création aussi complexe qu'originale, voici une Page qui regorge de détails ). 
 
 Il est un point indéniable. C'est le fait que cette réalisation peut provoquer diverses réactions : dégoût, rejet, mépris, fascination, mais en aucun cas l'indifférence ! En fait, la série "Rome" qui a surpris nombre de spectateurs par son aspect réaliste, sa crudité, et sa violence brute, fait figure, à côté de cette fresque, d'une gentille bluette pour dames patronesses. Il en est quasiment de même pour les oeuvres, pourtant révélatrices à l'époque, d'une liberté de ton rare, écrites par Pasolini. C'est dire que nous entrons ici de plain pied dans un microcosme cauchemardesque, sorte de croisement entre l'univers des "Mille et une nuits" pour l'érotisme, et celui du Marquis de Sade pour les exactions pathologiques.  
 
 Précisons tout de suite qu'il est tout à fait regrettable que Bob Guccione (créateur de "Penthouse") ait cru bon de rajouter des gros plans pornographiques, histoire, sans doute, de "corser" un peu plus le travail de Tinto Brass. Ce tripatouillage est fort bien décrit par Emmanuel Denis dans la Page ci-dessus indiquée. Il est facile de se rendre compte que les scènes "hard" tournées par Brass s'intègrent de manière fluide à la narration, tandis que celles qui sont plaquées artificiellement (la longue séquence des deux lesbiennes pendant que Caligula "honore" sa soeur Drusilla (Teresa Ann Savoy)), cassent l'expansion de l'ensemble sans rien apporter de constructif. Cela dit, le film, même recomposé de manière douteuse, révèle une personnalité exceptionnelle. Est-il historiquement valable ? On peut discuter longtemps sur le sujet. Est-il si outré que cela ? Nombre de descriptions d'époque et de peintures montrent qu'à Rome, tout comme en Grèce quelques siècles plus tôt, le corps et ses débordements ne connaissaient pas une retenue comparable à celle que nous vivons aujourd'hui, en un temps qui se veut pourtant, "libéré". Mais qu'importe. Fidèle ou non à la réalité, il n'en demeure pas moins que, jamais sans doute, dans l'histoire du cinéma, la décadence de l'Empire Romain, les excès de ses monarques fous, n'auront été évoqués d'une manière aussi évidente, palpable, suggestive.  
 
 L'obsession sexuelle de ce soi-disant Dieu vivant dévaste tout, imprègne les personnages et envahit l'écran. Démesure sans doute guidée par le désir de produire une oeuvre transgressive qui secoue le spectateur. Mais démesure en accord intime avec la folie bien réelle du véritable Caligula. De plus, cette outrance ne se limite pas au domaine orgiaque. Elle donne également naissance à une inventivité visuelle permanente. Dans la gestuelle des protagonistes, dans le choix esthétique des acteurs, dans certaines séquences d'anthologie (la machine faucheuse de têtes !), dans le télescopage ubuesque des composantes psychologiques de l'Empereur. Il est impossible de ne pas s'extasier devant l'incarnation à facettes multiples que Malcolm McDowell donne de son personnage. Capable de passer en quelques instants, du monstre qui fait assassiner froidement un gêneur, au petit enfant qui hurle en voyant un oiseau voleter dans la pièce, il est en "représentation" permanente d'un tourbillon d'êtres intérieurs qui cohabitent dans un foutoir mental absolu. Tour à tour habité par un ego malade aux yeux exorbités ou par une âme ingénue qui s'abandonne, il est tout simplement prodigieux.  
 
 D'autres surprises ne manquent pas. La présence au générique d'acteurs tels Peter O'Toole, Helen Mirren ou John Gielgud, que l'on n'attendait pas vraiment dans une telle réalisation. Il faut dire que la disparition du premier (un Tibère mémorable !) et du dernier, s'opèrent rapidement... Autre sujet d'étonnement : la musique. Dès le commencement, la sublime mélodie de la scène d'amour de "Spartacus" (Aram Khatchaturian), fréquemment choisie par les Patineurs sur glace lors des compétitions, s'élève et renforce la fascination ressentie, grâce à son osmose parfaite avec certaines séquences de ce ballet érotique, parfois tendre, bien souvent sauvage.  
 
 Décidément, une oeuvre à la démesure d'un personnage hors normes. (Précisons que le commentaire concerne la version de 150').
   
Bernard Sellier