Carmen, film de Francesco Rosi, commentaire

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Carmen,
      1984, 
 
de : Francesco  Rosi, 
 
  avec : Julia Migenes Johnson, Placido Domingo, Ruggero Raimondi, Julien Guiomar, Faith Esham, François Le Roux, Lillian Watson,
 
Musique : Georges Bizet

  
 
Une petite ville d'Andalousie, avec sa garnison et son atelier de tabac où travaillent des cigarières. Don José (Placido Domingo), un Navarrais, est sur le point d'épouser une douce jeune fille, Micaela (Faith Esham). Mais la brûlante Carmen (Julia Migenes Johnson) a jeté son dévolu sur lui et fera tout pour le séduire. Arrêtée pour avoir blessé une coéquipière à coups de couteau, elle persuade José de la laisser fuir contre la promesse d'une liaison. Après un mois de prison pour faute, il la rejoint parmi les contrebandiers... 
 
 Dix-sept ans après une "Carmen" dirigée par Herbert von Karajan avec une belle distribution (Grace Bumbry, Jon Vickers et Mirella Freni !), c'est Lorin Maazel qui dirige ici cette version plus cinématographique que musicale. Placido Domingo, qui avait déjà enregistré le rôle avec Teresa Berganza en Carmen et Claudio Abbado comme chef, en 1977, campe un Don José solide, à la voix profonde et mâle. Il est tout à fait convaincant visuellement et dramatiquement dans le personnage, mais son interprétation vocale ne fait pas oublier la finesse, l'intelligence, le goût et la fragilité de Nicolaï Gedda, qui, bien que ne possédant peut-être pas l'étoffe sonore d'autres interprètes, a, par deux fois (l'une avec Maria Callas et Georges Prêtre, l'autre avec Victoria de Los Angeles et Thomas Beecham) donné naissance à une incarnation profondément émouvante et d'une subtilité inégalable. Son air "la fleur que tu m'avais jetée", dans la version Beecham, est une pure merveille ! Ruggero Raimondi, habitué au personnage d'Escamillo, assez impersonnel ici, ne laisse pas une impression inoubliable. Le personnage de Micaela est ambigu : est-elle une petite oie blanche effarouchée pour un rien, ou bien une solide jeune fille sainement amoureuse du beau brigadier ? Les choix de voix et les interprétations varient suivant les nombreuses versions de l'oeuvre. Faith Esham semble plutôt pencher pour la seconde hypothèse, ce qui en soi n'a rien de répréhensible, mais, malheureusement, son play-back est particulièrement raté, et provoque une gêne insupportable.  
 
 Reste le cas de Carmen, pivot dramatique de l'oeuvre. Il est indéniable que Julia Migenes Johnson possède la flamme, le "chien", qui sont une caractéristique majeure du personnage. Son choix pour donner vie, dans une production cinématographique, à la Bohémienne enjôleuse, est excellent. Sur le plan purement interprétatif, il est légitime de préférer les visions ou incarnations de Maria Callas, Béatrice Uria-Monzon, Grace Bumbry, voire Régine Crespin. Lorin Maazel, souvent critiqué pour ses conceptions musicales, surprend effectivement à plusieurs reprises. L'introduction orchestrale du second acte, puis le choeur "les tringles des sistres tintaient" débutent avec une lenteur étonnante, dans une mélancolie sombre, puis, emportés par un accelerando progressif, s'achèvent dans le tourbillon d'une danse follement débridée.  
 
 Le tournage en extérieurs, à Séville et dans la région de Ronda, apporte beaucoup à l'esthétique de cette histoire traditionnellement emprisonnée sur les planches d'un opéra. D'autant plus que Francesco Rosi a utilisé avec talent le décor des ruelles blanches et les foules de figurants, d'ordinaire bien statiques. L'ensemble est vivant, sans originalité profonde, mais peut-être cela vaut-il mieux que les délires parfois privilégiés par des metteurs en scène plus soucieux de la trace personnelle qu'ils impriment, que de la mise en valeur respectueuse de l'oeuvre (voir les choix plus que contestables, dramatiquement, effectués par Benoît Jacquot sur "Tosca"...).
   
Bernard Sellier