Le Cauchemar de Darwin, film de Hubert Sauper, commentaire

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Le cauchemar de Darwin,
     (Darwin's Nightmare),      2004, 
 
de : Hubert  Sauper, 
 
  avec : -- 
 
Musique : --

 
 
Le résultat d'un tournage de plusieurs années sur les bords du lac Victoria, en Tanzanie. Là, se sont développées, depuis peu, une industrie très particulière. L'introduction de la perche du Nil a provoqué la disparition de la quasi totalité des espèces préexistantes et a généré un commerce pour le moins éclectique. D'énormes avions-cargos russes emportent vers l'Europe des dizaines de tonnes de filets. Mais ce que l'on savait beaucoup moins, c'est que les mêmes Iliouchine reviennent en Afrique chargés d'armes, afin d'alimenter les multiples guerres qui déciment le continent... 
 
 Une œuvre a priori déroutante pour tous les habitués des documentaires traditionnels qui livrent des kilomètres de commentaires, souvent pesants, en voix off. Ici, rien de cela. Comme l'explique avec beaucoup de sensibilité, de pénétration, et d'humanité le réalisateur, dans un commentaire de trente minutes sur le film, le but était, avant tout, de permettre au spectateur de "travailler" mentalement, de construire ses propres conclusions, sans que lui soit donnée, préalablement mâchée, la synthèse horrifique des séquences qui lui sont présentées. Absence totale donc, d'explications, qui l'auraient installé dans un état passif. 
 
 Ce n'est pas tant d'un documentaire qu'il s'agit, que d'un assemblage de "tranches de vies". Les personnages qui expriment, de manière évolutive, leurs sentiments, leurs vérités, ont été choisis par Hubert Sauper. Ils sont devenus, au fil des années, sinon des amis, du moins des individualités avec lesquelles il a partagé de nombreux moments. Au terme d'un montage voulu progressif dans la perception des tempéraments (les pilotes russes sont, au commencement, des rustres antipathiques, puis acquièrent, au final, une humanité presque touchante), se met en place une imagerie cauchemardesque de la mondialisation, sans que les différentes pièces du puzzle, à quelques exceptions près, se montrent intolérables. La folie générée par l'appât du gain des multinationales se manifeste bien sûr dans la vie quotidienne de ces malheureux exploités qui sont réduits, pour survivre, à la prostitution et à la consommation, pour ne pas mourir de faim, des squelettes de poisson avariés. Mais elle est aussi dans le délabrement inconcevable d'un aéroport, qui voit circuler un nombre important de gros porteurs : étonnante scène burlesque d'ouverture, digne de Sergio Leone, où l'on voit le contrôleur aérien poursuivre de sa hargne une guêpe, sans se préoccuper le moins du monde de l'Iliouchine qui atterrit, pour la simple raison que la radio ne fonctionne pas et que c'est un simple phare vert qui indique au pilote qu'il peut atterrir !  
 
 Darwin n'a certes pas grand chose à voir dans le délire qui nous est présenté (le sujet de l'anéantissement des espèces par la perche du Nil est à peine évoquée trente secondes). Mais c'est bien d'un cauchemar démesuré qu'il s'agit ! Celui qui atteint, de toutes les manières possibles ("The Constant Gardener"), un continent à genoux...
   
Bernard Sellier