La Cité des enfants perdus, film de Jean-Pierre Jeunet et Marc Caro

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La cité des enfants perdus,
      1995, 
 
de : Jean-Pierre  Jeunet, Marc  Caro, 
 
  avec : Ron Perlman, Daniel Emilfork, Judith Vittet, Dominique Pinon, Rufus, Jean-Claude Dreyfus, Ticky Holgado,
 
Musique : Angelo Badalamenti

   
 
De nombreux enfants, initiés au vol par deux sœurs siamoises, Zette et Line (Odile Mallet-Geneviève Brunet), dans une zone portuaire, disparaissent, enlevés par Krank (Daniel Emilfork), création artificielle, qui a le malheur de ne jamais rêver. Il espère ainsi pouvoir capturer les songes de ses petits kidnappés, mais ceux-ci ne font que des cauchemars. One (Ron Perlman), dont le frère adoptif, Denrée (Joseph Lucien), a disparu, cherche désespérément, en compagnie d'une fillette, Miette (Judith Vittet), à le retrouver, mais il sont faits prisonniers par d'étranges cyclopes, qui ne voient que par l'intermédiaire d'un oeil artificiel, fourni par Krank en échange des enfants... 
 
 S'il est un point sur lequel il est impossible d'éviter un consensus absolu, c'est bien l'originalité tous azimuts de cette oeuvre ! L'histoire, tout d'abord, espèce de croisement déjanté entre contes horrifiques (où les petits enfants sont traumatisés par des Père Noël violemment hideux), dérive psychanalytique, drame misérabiliste, cauchemar futuriste. Les décors, ensuite. Un monde plutonien, glauque, glacial, éternellement humide, brouillasseux, à dominante verdâtre sale, hérissé de machineries démentielles, qui semble appartenir à une planète détritus, en comparaison de laquelle notre terre semble un chaud paradis accueillant. Les personnages, enfin. Ils composent une galerie de monstres en tous genres, de trognes impossibles, qui rivalisent d'hystérie et d'exaltations morbides. On ne sait trop lequel l'emporte en luxuriance loufoque, de l'ignoble Krank jusqu'à son concepteur, Irvin, réduit au volume d'un cerveau flottant dans un aquarium, en passant par toute une kyrielle de faciès délirants : la Princesse naine, les sœurs siamoises aux rictus sinistres, Marcello (Jean-Claude Dreyfus), zombie shooté à mort aux opiacés, les cyclopes (la "race supérieure" !), aux yeux remplacés par des loupes cuivrées, les six clones grimaçants et débiles (Dominique Pinon, délectable), ou même le "héros", One, à côté duquel Stallone passerait pour un génie intellectuel. Seule échappe à ce désastre humain global, la petite Miette, sorte de Cosette dopée aux amphétamines, et les quelques gamins qui l'accompagnent.  
 
 Cela fait tout de même beaucoup ! Le spectateur est donc plongé corps et biens, sans un instant de répit, dans ce magma passablement répugnant de déchets en tous genres, et suit, tant bien que mal, cette improbable quête. Il n'est pas sûr qu'il en ressorte indemne, et cet ensemble de visions cauchemardesques, renforcées encore par les effets du style gros plans, distorsions en tous genres, s'imprime durablement dans la mémoire, comme le ferait la contemplation d'un OVNI totalement étranger à notre conscience de l'expérimentation terrestre.  
 
 Il y a pourtant, dans cet amoncellement permanent et excessif de sordide, un important risque de nausée. Contrairement au "Fabuleux destin d'Amélie Poulain", il semble qu'ici l'originalité glauque soit recherchée pour elle-même, dans cette descente aux enfers où chaque personnage pousse jusqu'à l'extrême un numéro, certes parfois jouissif dans sa manifestation délirante, mais d'où la sensibilité est quasiment absente. L'hyper-prédominance de la forme sur le fond, étouffe, dès sa naissance, le moindre germe d'émotion susceptible de pointer au détour d'une rencontre ou d'un drame.
   
Bernard Sellier