Le dernier Samouraï, film de Edward Zwick, commentaire

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Le dernier samouraï,
     (The last Samuraï),     2003, 
 
de : Edward  Zwick, 
 
  avec : Tom Cruise, Ken Watanabe, William Atherton, Tony Goldwyn, Timothy Spall, Masato Arada,
 
Musique : Hans Zimmer


 
1876. Le capitaine Nathan Algren (Tom Cruise), héros des guerres indiennes ayant servi sous le commandement du tristement célèbre Custer, tente d'oublier dans l'alcool les horreurs auxquelles il a participé. Le Colonel Bagley (Tony Goldwyn) lui offre une mission pour le moins originale : devenir le formateur des troupes japonaises qui devront affronter Katsumoto (Ken Watanabe), le dernier représentant rebelle de l'ordre des Samouraïs. Nathan arrive donc à Yokohama et entreprend de transformer en combattants efficaces les paysans enrôlés dans l'armée. Le premier affrontement avec les guerriers de Katsumoto se solde par une catastrophe. Vaincu, le général nippon se suicide, tandis que Nathan, fait prisonnier, est emmené dans le village des Samouraïs... 
 
 Quels points communs entre "Danse avec les loups" de Kevin Costner, "Mission", de Roland Joffé, ou ce "Dernier Samouraï" ? Grands sentiments, grandes étendues, grands affrontements, mais, surtout, le drame de ce qui doit disparaître, balayé par ce que l'on appelle "progrès". Déterminer sa valeur réelle ou la justification des carnages qui accompagnent son installation constitue un débat philosophique sans issue. Si l'on se place sur un plan mystique, il est évident que le fonctionnement de la vie, sa progression vers un but que l'on peut imaginer mais dont la réalité nous échappe, passe obligatoirement par la disparition de l'usé. De ce qui n'est plus adapté au temps présent, de ce qui fait obstacle à l'évolution par son immobilisme dépassé. Ceci est vrai aussi bien au niveau individuel que social, professionnel ou au niveau des peuples et civilisations. Et, malheureusement, sur notre terre et dans cette ère, l'homme ne connaît d'autre technique, pour ce nettoyage, pour le remplacement de l'ancien par le nouveau, que l'élimination physique.  
 
 Cet état mythique des Samouraïs s'accompagne d'étranges paradoxes : leur art est celui du mouvement, du geste plus rapide que l'éclair, tandis que leurs codes et croyances sont d'un immobilisme totalement figé. Ils possèdent un sens profond de la valeur de la vie, de la connexion au sacré, mais s'enlisent dans une barbarie qui est le contraire de l'amour divin. Leur quête est celle de la perfection, mais ils n'ont pas compris que celle-ci implique une mouvance permanente. Ils vivent dans l'ici et maintenant, mais sur des bases ancestrales inamovibles. Sans chercher à pénétrer profondément dans leur monde intérieur, bien impénétrable à notre compréhension occidentale, le réalisateur parvient à nous faire vibrer à l'unisson de ces êtres qui, à l'instar des Indiens d'Amérique, sentent que l'heure de la disparition a sonné. Qu'il est temps de laisser la place et de disparaître, car plier n'est pas concevable. Le symbole de ces armures rigides, de ces cavaliers-robots qui semblent sortir droit d'un Moyen-Age oriental, sont l'expression même de la rigidité.  
 
 Le personnage de Nathan, (qu'il soit imaginaire ou non est sans importance), rongé par la culpabilité et par l'abomination des massacres indiens, s'intègre parfaitement dans cette pulsion permanente suicidaire de ces guerriers d'un autre temps. Ken Watanabe est magistral, Tom Cruise surprend très positivement et Edward Zwick possède l'intelligence de garder le cap originel, sans se perdre dans des voies parallèles ou secondaires, qui auraient affaibli la trame directrice. C'est ainsi que la lente métamorphose des sentiments de la belle Taka (Koyuki), dont le mari a été tué au combat par Nathan, est exprimée avec une délicatesse ombrée, une subtilité que l'on ne rencontre que rarement dans les grosses productions d'outre-atlantique, et demeure toujours au second plan, à l'image de la position des femmes japonaises dans la société. Même le sort de Nathan, au soir de la bataille finale, a priori peu conforme à la logique jusqu'au boutiste de son engagement, se voit justifiée et magnifiée par une fin intelligente et logique. 
 
 De superbes paysages qui contrastent douloureusement avec l'amoncellement des boucheries humaines, un équilibre quasiment parfait entre périodes méditatives intériorisées et scènes d'apocalypse où la débauche de violence n'est jamais gratuite, voilà une grande réussite épique dont l'exotisme est habilement maîtrisé. Quant à la durée du film, à l'inverse de certains critiques qui la jugent excessive, elle me paraît, au contraire, tout à fait judicieuse et indispensable à la vraisemblance de cette prise de conscience et de l'intégration consécutive qui, sans cela, s'afficheraient comme un procédé scénaristique conventionnel, voire sournois.
   
Bernard Sellier