Des hommes et des dieux, film de Xavier Beauvois, commentaire

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Des hommes et des dieux,
      2010, 
 
de : Xavier  Beauvois, 
 
  avec : Lambert Wilson, Michael Lonsdale, Olivier Rabourdin, Philippe Laudenbach, Jacques Herlin, Sabrina Ouazani,
 
Musique : Piotr Illitch Tchaïkovsky


 
1996. L'Algérie est en proie à la guerre civile. A Tibhirine, près de Medea, 90 kms au sud d'Alger, un petit groupe de moines trappistes, dirigé par frère Christian de Cherge (Lambert Wilson), vit modestement et vient en aide aux villageois. Les assassinats se rapprochent et la question de la sécurité se pose dramatiquement... 
 
 Sur le plan strictement historique, il est évident que l'opacité règne aujourd'hui encore autour des événements survenus ainsi que de leurs auteurs. Trois ou quatre théories plus ou moins antagonistes s'affrontent, et il est peu probable que l'une des hypothèses devienne un jour certitude. Mais le propos de Xavier Beauvois ne porte aucunement sur ce point. Son approche est uniquement consacrée au dilemme qui se pose à chaque membre de la communauté, sur fond de vie quotidienne consacrée au service et à la prière. Deux écueils se présentent dans cette démarche. 
 
 D'une part, s'il est un domaine qui échappe à toute forme de captation par quelque art que ce soit, c'est la connexion de la personne physique avec son Christ intérieur, son Soi profond, quelque soit le nom qu'on lui donne. C'est donc uniquement par leurs attitudes (Lambert Wilson assis les yeux clos...), leurs réflexions, ou leurs émotions, que les personnages traduiront leurs doutes, leurs désirs ou leurs peurs, ce qui ne les différencie guère que par l'habit des jurés de "12 Hommes en colère", par exemple. Le contexte de la foi et des obligations ou choix qui en découlent est bien sûr présent. Mais, à l'exception peut-être de deux ou trois membres chez lesquels on devine, sinon une illumination, du moins un engagement profond et mystique, l'impact du "mariage" avec le Christ que traduit le film se révèle terriblement prosaïque et superficiel. La réplique de l'un des moines est, à ce titre, révélatrice : "Si je pars, je me demande ce que serait ma vie". Jamais un être qui a réalisé son union avec le Dieu intérieur ne prononcerait de telles paroles. Il se trouverait dans la joie et la paix quel que soit l'endroit où il se habite, quelles que soient les conditions dans lesquelles il évolue. C'est là sans doute le drame majeur dans lequel se débat l'église, qui éprouve tant de difficultés à voir éclore des vocations. 
 
 À force d'avoir, pendant deux millénaires, présenté un Dieu inaccessible aux malheureux pécheurs que nous sommes (hormis pour les chanceux qui gagneront le Paradis !), à force d'avoir occulté le fait que l'étincelle divine originelle sommeille en chacun de nous, et que c'est là qu'il est indispensable de chercher "Dieu", l'Eglise se retrouve avec des engagements, certes parfois altruistes, volontaires et généreux, mais bien plus souvent dictés par des fondements psychologiques. Celui qui a reçu l'illumination intérieure, tel Eckhart Tolle, par exemple, n'a nul besoin d'entrer dans les Ordres pour vivre sa communion avec le Cosmique. Il vit l'Amour et la Paix à chaque seconde en quelque lieu que ce soit. Bien sûr, ces considérations éloignent du film qui, reconnaissons-le, transcrit avec honnêteté, humilité et humanité les derniers mois cruciaux vécus par la communauté. 
 
 Il est un second écueil qu'il faut tout de même évoquer. La vie quotidienne des moines est empreinte de simplicité. Le spectateur est donc invité à participer aux chants, aux repas, aux soins prodigués aux villageois, aux travaux agricoles, puis à nouveau aux chants, aux repas, etc... A l'évidence, cette répétitivité installe une atmosphère authentique et méditative, mais, sur deux heures, elle se révèle finalement éprouvante. D'autant plus que la progression dramatique peine à se manifester dans les interrogations intérieures des moines. 
 
 Pourtant, malgré ces réserves, la simplicité et la sobriété narratives en parfaite osmose avec le contexte et le sujet, les relations justes, émouvantes avec les habitants du village, et, surtout, ce repas au cours duquel s'installe chez les religieux une vague de Grâce éthérée que magnifie la superbe musique du Lac des Cygnes de Tchaïkovsky, confèrent à l'œuvre une noblesse intérieure qui ne peut que marquer le spectateur.
   
Bernard Sellier