12 Hommes en colère, film de Sidney Lumet, site Images et Mots

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12 hommes en colère,
     (12 angry men),        1957, 
 
de : Sidney  Lumet, 
 
  avec : Henry Fonda, Martin Balsam, Lee J. Cobb, Ed Begley, Jack Warden, Robert Webber,  
 
Musique : Kenyon Hopkins

   
 Un jeune garçon, à peine majeur, est traduit aux assises pour l'assassinat de son père. Les douze jurés se retirent pour délibérer. Pour chacun d'eux, la culpabilité de l'adolescent ne fait pas de doute. Les débats ont été clairs. Pourtant, lors du premier vote, le juré 8 (Henri Fonda), tourmenté par cette unanimité implacable, vote "non coupable". Cette sécession marque le début d'une longue confrontation entre les différents points de vue et d'un minutieux réexamen des éléments primordiaux développés pendant le procès. Lorsqu'un deuxième vote a lieu, un second juré rejoint l'opinion du n°8...  
 
 Ce film mythique prouve, s'il en était besoin, qu'un scénario minimaliste développé dans un décor unique peut, comme ce sera le cas pour «Garde à vue», vingt-quatre ans plus tard, donner naissance à un chef-d'oeuvre inoubliable. En quelques minutes, par la grâce d'un simple mot, d'un simple geste, chaque personnage est caractérisé. Il a inconsciemment dévoilé sa nature superficielle ou le masque qu'il arbore sur la scène de la vie. Nous ne saurons rien de l'accusé, quasiment réduit à l'état d'ombre abstraite. Nous n'en saurons pas davantage sur ces hommes humbles, anonymes, auxquels va être confié le sort d'une existence à son commencement. Ce qui se développe devant le spectateur, c'est une réflexion sur la conscience, les croyances, les préjugés, les doutes, les certitudes... Domaines particulièrement obscurs, hermétiques. Pourtant, loin de sombrer dans les théories philosophiques ou les dissertations métaphysiques, le scénario s'abaisse au niveau du quotidien le plus banal, de l'événementiel le plus anodin, du détail le plus infime. Mais, en l'occurrence, cet ordinaire futile revêt une dimension exceptionnelle, puisque la menace de la chaise électrique plane sur le présumé coupable. Dans leur majorité, ces hommes ne sont pas franchement méchants. Ils sont simplement concentrés sur leurs petits désirs, sur leurs rassurantes convictions, qu'ils jugent saines. Ils n'ont pas la capacité émotionnelle de s'ouvrir à l'autre, parce qu'ils ne le connaissent qu'à travers le filtre des jugements prédigérés. Egoïstes, lâches, haineux, indifférents, courageux, timides, ils ne sont que des hommes falots, parachutés, un court instant, dans une circonstance hors de leur commun. L'ouverture des débats, à elle seule, glace le sang. Le juré n° 8, par lequel "le scandale arrive" (comme dirait Vincente Minnelli), refuse de voter "coupable", non par conviction, mais simplement par refus d'être le mouton qui suit le troupeau. Le poids d'une plume pour contrebalancer celui de onze pachydermes... Puis, adroitement, avec une sobriété et une authenticité de chaque instant, le scénario développe les réflexions de certains, les colères, les agressivités, les prises de conscience, pour aboutir, dans un accouchement douloureux, à l'éclosion d'une bouleversante humanité retrouvée. Un exceptionnel exemple de simplicité narrative absolue qui ouvre une brèche sur la lumière sommeillant à l'intérieur de chaque être humain. Henry Fonda est impérial, mais chacun de ses onze compagnons marque de son empreinte indélébile cette heure et demie de débats qui semble infiniment plus courte que nombre de récits gorgés d'action et de fureur.  
 
 Ce huis-clos théâtral ne sombre pas une seconde dans la mièvrerie, le larmoyant. Il sait allier de bout en bout une dignité magistrale à un ascétisme profond. Un monument indestructible et fascinant d'une époque où (comme, par exemple dans «L'invraisemblable vérité» de Fritz Lang), la réalisation, sèche et percutante allait directement à son but, ne s'embarrassant jamais des fioritures et digressions modernes, spectaculaires ou démagogiques. Un diamant magnétique...  
  
Bernard Sellier