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L'enfer,
    1994, 
 
de : Claude  Chabrol, 
 
  avec : Emmanuelle Béart, François Cluzet, Nathalie Cardone, André Wilms, Marc Lavoine, Dora Doll, Mario David, Jean-Pierre Cassel,
 
Musique : Matthieu Chabrol


   
Paul Prieur (François Cluzet) tient un hôtel au bord d'un lac. Un certain nombre d'habitués s'y retrouvent périodiquement. Duhamel (Mario David), qui passe le plus clair de son temps, la caméra à la main, pour filmer tout ce qui bouge ; Monsieur (Jean-Pierre Cassel) et Madame (Christiane Minazzoli) Vernon, qui, malgré leur âge, ne pensent qu'à la bagatelle ; et aussi le jeune bellâtre Martineau (Marc Lavoine), fils du garagiste de la ville voisine. Ce dernier n'est pas vu d'un fort bon oeil par Paul, dont la femme Nelly (Emmanuelle Béart) semble très proche. Peu à peu, Paul devient de plus en plus jaloux, espionne sa femme, lui fait des scènes. C'est le commencement de l'enfer... 
 
   Claude Chabrol délaisse pour un temps son goût inné pour les autopsies acides qui ont fait sa réputation ("Masques", "Inspecteur Lavardin", "Poulet au vinaigre"...), et se concentre sur cette maladie psychologique qui ronge les coeurs et désintègre l'amour. Il opère cette étude avec la traditionnelle qualité d'écriture classique qu'on lui connaît. Dans un microcosme volontairement restreint, il suit, observe, caricature, traque, survole les petites fourmis qui s'y agitent, en concentrant son objectif et son scalpel sur deux d'entre elles. François Cluzet, extraordinaire, écartelé entre attachement, souffrances, doutes, éclairs de violence ; Emmanuelle Béart, juvénile, instinctive, parée d'une pointe d'ambiguité qui fournit une assise à la progression pathologique de son mari. Sans surprise, mais avec talent, Chabrol nous dissèque les phases évolutives du mal, tant matérielles : questionnements, soupçons, fouilles, filatures, harcèlement, violence physique, que psychologiques : alternance de dépressions, d'élans de tendresse, de réconciliations, de descentes dans le gouffre et de remontées à l'air libre. Même si la progression du scénario et sa mise en images ne surprennent jamais, cet enfermement graduel dans une idée fixe-prison est amené avec justesse et génère une émotion authentique. Les surimpressions visuelles (imagination négative créatrice de Paul qui colore les événements visibles) sont plus convaincantes que la voix intérieure morbide qui, par instants, insuffle son venin dans le cerveau réceptif. Quant à la fin, elliptique et surprenante, elle offre une troublante analogie avec le phénomène des trous noirs de l'espace : l'objet observé disparaît soudain à la vue, tandis qu'il s'enfonce, éternellement ?, dans une spirale effrénée de folie délirante.  
 
   Intense et glaçant.
   
Bernard Sellier