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L'équipier,
       2004, 
 
de : Philippe  Lioret, 
 
  avec : Sandrine Bonnaire, Philippe Torreton, Emilie Dequenne, Martine Sarcey, Anne Consigny, Grégori Derangère,
 
Musique : Nicola Piovani


   
Camille (Anne Consigny) arrive dans l'île d'Ouessant pour vendre la maison de ses parents. Son père, Yvon (Philippe Torreton), gardien du phare de la Jument est mort dix ans plus tôt, et sa mère, Mabé (Sandrine Bonnaire), récemment. Dans un livre écrit par Antoine Cassenti (Grégori Derangère), elle découvre un épisode ancien, dont elle ignorait l'existence. En 1963, alors qu'Yvon venait de perdre son beau-père et collègue, Emile, arrivait pour remplacer le mort, un jeune homme, blessé durant la guerre d'Algérie, Antoine Cassenti. L'accueil de cet étranger est glacial, tous les membres de l'équipe allant jusqu'à écrire une pétition pour renvoyer l'intrus. Mais la réaction de certaines femmes est différente... 
 
   Le point originel de cette tragédie fait immédiatement penser au merveilleux récit de Clint Eastwood, "Sur la route de Madison". Une histoire d'amour éphémère enfouie dans le grand livre des secrets familiaux, qui constituent, depuis quelques décennies, une manne pour les psychogénéalogistes. Il faut reconnaître que chaque foyer est gorgé, au fil des générations, de dissimulations, de non-dits plus ou moins importants, qui sont en grande partie intégrés inconsciemment par les enfants, et régurgités, parfois au bout d'un temps très long, sous forme de haines, de jalousies, de dépressions ou d'accidents. Mais il ne fait aucun doute que la Bretagne sauvage, insulaire, des années 60, quasiment fermée à toute communication extérieure vécue comme une intrusion agressive, est un microcosme autarcique particulièrement propice aux menées ténébreuses des désirs insatisfaits.  
 
   Et, de fait, Philippe Lioret ne choisit pas, dans un premier temps, la modération pour croquer le milieu dans lequel surgit Antoine. Tous les hommes, à commencer par Yvon, sont, disons-le sans ambage, de parfaits abrutis. Bornés, ignorants, jaloux jusqu'à la haine de leur minuscules prérogatives. Mais, heureusement, si les caractères secondaires n'évoluent pas au cours de l'oeuvre, le tempérament du principal personnage, rendu avec une sobre justesse par Philippe Torreton, subit une humanisation que le réalisateur suit avec pondération et pudeur. Oh, il ne s'agit aucunement de bouleversements profonds, de revirements spectaculaires. Tous les sentiments sont suggérés, sous-entendus, aussi discrets, timides et feutrés, que l'environnement océanique est violent, fracassant et tumultueux. Pourtant, s'il existait un scalpel des coeurs, on se rendrait vite à l'évidence : les tempêtes intérieures n'ont rien à envier à celles qui balaient le phare de la Jument. Mais, bridées par des siècles de suffocation, elles n'ont pour se manifester que l'intensité d'un regard ou la banalité d'un geste. Philippe Lioret n'a pas choisi un sujet facile, car le problème crucial, avec un scénario plus que mince peuplé de tempéraments primaires et (ou) non communiquants, est de parvenir à capter l'attention et l'intérêt du spectateur. Sa réussite est plus que respectable, car il parvient, à travers une suite de scènes anodines, à rendre palpable cette lave souterraine qui tente de se frayer un chemin minuscule à travers les silences, les échanges de lieux communs ou d'agressions verbales. Revers de la médaille, l'ensemble, loin de laisser derrière lui un sillage paisible, éthéré, comme c'est le cas pour le film de Clint Eastwood, engendre une épaisse mélancolie, conforme à l'atmosphère pesante, désolante, qui nimbe l'intégralité du récit. C'est beau, triste et lancinant.
   
Bernard Sellier