Sur la route de Madison, film de Clint Eastwood, commentaire

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Sur la route de Madison,
    (The  bridges of Madison county),      1995, 
 
de : Clint  Eastwood, 
 
  avec : Meryl Streep, Clint Eastwood, Annie Corley, Victor Slezak,
 
Musique : Lennie Niehaus, Clint Eastwood, Camille Saint-Saens


   
Lire le poème ( CinéRime ) correspondant : ' Oasis '

   
Michael Johnson (Victor Slezak) et sa soeur Caroline (Annie Corley) arrivent dans une petite ferme de l'Iowa, dans le comté de Madison, pour régler les affaires de leur mère Francesca (Meryl Streep) qui vient de décéder. Caroline trouve dans les papiers un journal qui relate la rencontre qu'avait faite Francesca, plusieurs décennies auparavant, d'un photographe, Robert Kincaid (Clint Eastwood), du National Geographic, et avec lequel elle avait vécu quatre jours de rêve.  
 
   Ce film est l'exemple même qu'il est possible de produire un chef d'oeuvre à partir d'une histoire simple sinon banale. Quoi de plus futile, en effet, que cette rencontre d'un homme libre, sans attaches, et d'une fermière qui s'ennuie ? Surtout lorsque cette confrontation ne dure que quelques jours. Ici, aucune grandiloquence, pas de grandes envolées au-dessus des continents, pas de courses poursuites, pas de grands esclandres suivis de réconciliations larmoyantes. C'est la finesse, la sensibilité, la pudeur, l'intelligence du coeur qui font tout le prix de cette oeuvre épurée à l'extrême. C'est par de petits riens, de minuscules gestes, un regard fuyant, que Meryl Streep (dont je ne suis pas un fanatique) exprime peu à peu le désarroi de son être et la mélancolie qui ronge sa vie. Son incarnation de Francesca est une merveille de retenue, de subtilité, de sensualité cachée, de tendresse infinie. En quelques heures, elle va condenser dans une réalité pourtant quelconque ( Robert n'est pas véritablement le jeune premier qui peut faire fantasmer une femme), tous les rêves de voyage, de découvertes merveilleuses que la vie a effacés de son quotidien. Elle va apprendre à franchir la barrière invisible qui la retient dans le cocon convenable de la vie familiale correcte, tout en étant déchirée entre ce qu'elle considère comme son devoir d'épouse et de mère, et cet amour soudain et unique que l'on ne rencontre qu'une fois dans sa vie. Elle livre au papier le dilemme qui la ronge et la lecture, vingt cinq ans plus tard, par ses enfants, de ce douloureux aveu, leur permettra de remettre un certain ordre dans leur vie de couple soumise, elle aussi au pourrissement de la durée. 
 
   Le personnage de Robert est davantage monochrome, mais il n'en est pas moins profondément humain et Clint Eastwood excelle à rendre le mélange de gravité, de légèreté et d'indépendance de cet homme âgé qui aime la vie, la liberté et tous les humains. Un seul regret, bien anodin, en ce qui concerne la version française de ce film : l'absence du doubleur habituel de Clint. En effet, si l'on ne peut pas dire que le comédien qui le double soit mauvais, bien au contraire, en revanche le son grinçant et agressif de sa voix est à mon sens choquant et déplacé. Une conséquence des habitudes prises lorsque l'on s'est imprégné du timbre souvent merveilleusement adéquat des excellents acteurs français qui "sont" les voix des grandes figures du cinéma (Robert de Niro, Sean Connery, Harrison Ford, Clint Eastwood, Bruce Willis...). 
 
   A l'évidence une des grandes réussites de Clint Eastwood réalisateur, avec les merveilleux «Un monde parfait» ou «Mystic river», mais également une peinture magistrale de la passion et du renoncement, dans le milieu hyper encombré des films d'amour. Y a-t-il beaucoup d'oeuvres qui laissent au spectateur des souvenirs aussi profondément gravés à partir de personnages et de situations aussi simples ? Y parvenir ainsi est le signe d'une sensibilité et d'une maîtrise hors du commun.
   
Bernard Sellier