La richissime famille Klingenfeldt se réunit dans le petit château campagnard pour fêter les soixante ans de Helge (Henning Moritzen), le "pater familias". Se retrouvent sur place, outre une foule d'invités, l'épouse (Birthe Neumann), ainsi que les trois enfants : Christian, l'aîné (Ulrich Thomsen), qui habite Paris où il a créé deux restaurants ; Helene (Paprika Steen) dont le compagnon, Gbatokai (Gbatokai Dakinah) est noir ; enfin Michael (Thomas Bo Larsen), flanqué de ses trois enfants et de sa femme, qu'il passe son temps à frapper et insulter. Manque une fille, Linda, qui s'est suicidée l'année précédente. La réunion ne tarde pas à tourner au réglement de compte lorsque Christian livre dès l'apéritif quelques secrets de famille horribles...
Quelques mots, tout d'abord, sur la technique cinématographique "le Dogme" initiée ici par Vinterberg. Pas besoin d'être grand connaisseur dans le domaine pratique pour percevoir immédiatement tout ce qui fait l'originalité de cette manière de filmer : cadrages approximatifs, grain omniprésent, couleurs infidèles, images surexposées, tremblotements, son médiocre... Bref, nous avons là l'antithèse des productions hyper-léchées qui sont habituellement proposées. Dans le cas présent, il est indéniable que ce choix esthétique nous plonge avec vérisme dans une réunion familiale captée par un amateur doué. L'artifice des plans taillés au millimètre, avec éclairage calibré au lumen près, style tableau à la "Barry Lyndon", n'est pas de mise. C'est un avantage pour l'implication émotionnelle dans ce qui pourrait être une expérience personnelle. C'est aussi une limite, car, au bout d'une heure et demie, cette agitation perpétuelle de la caméra et cette approximation finissent par peser. Et ce n'est bien sûr pas la joyeuseté du propos qui risque de faire passer la pilule...
"Familles je vous hais"... Cette phrase célèbre pourrait servir de référence à "Festen". "Un air de famille" fait, à côté, figure d'une aimable partie de ping-pong verbal, délicate et mesurée. Thomas Vinterberg frappe fort d'emblée. Michael est une brute à la limite de l'hystérie, qui se défoule en insultant sa femme et en la chargeant de toutes ses propres insuffisances. Quant à Christian, qui semble au contraire policé, il lance dès les premières minutes la grenade dégoupillée qu'il gardait en réserve. Et là, stupéfaction (chez le spectateur s'entend), c'est le bide quasi intégral. Les personnages sont tellement verrouillés dans leur armure d'apparences, de richesse, de pseudo-distinction, que les éclats s'émoussent sans blesser. Le travail de sape se poursuit cependant dans l'invisible jusqu'à ce que la seconde grenade soit envoyée. L'effet commence à se faire sentir, mais, est-ce l'effet tonnerre de la première révélation, une certaine lassitude envahit le spectateur, gagné par l'atonie générale qui frappe la majorité des convives éméchés. Bien sûr, il y a une émotion profonde, certains personnages (Christian et Michael) sont remarquablement incarnés (ce qui n'est pas le cas pour la mère, par exemple, particulièrement inexpressive, mais peut-être est-ce conforme à son tempérament de lâche...), les réactions psychologiques sont subtilement décrites, mais j'avoue que, malgré le réalisme de certaines scènes, je ne me suis senti presque constamment extérieur à cette tragédie, pourtant horrible ! D'autant plus que le final laisse un goût amer d'inachevé...