Les grands espaces, film de William Wyler, commentaire

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Les grands espaces,
       (The big country),       1958, 
 
de : William  Wyler, 
 
  avec : Gregory Peck, Charlton Heston, Jean Simmons, Carroll Baker, Burl Ives, Chuck Connors,
 
Musique : Jerome Moross


   
James McKay (Gregory Peck) arrive dans un bourg de l'ouest américain pour épouser la jolie Patricia (Carroll Baker) fille d'un richissime éleveur, Henry Terrill (Charles Bickford). Son élégance détonne dans le milieu des cowboys et, dès son arrivée, il est pris à partie par la bande des quatre frères Hannassey, fils du vieux Rufus (Burl Ives), ennemi juré de Terrill. Au grand étonnement de Patricia, James ne réplique pas. Dans les jours qui suivent, Steve Leech (Charlton Heston), contremaître du domaine Terrill, provoque le futur marié, mais n'obtient pas davantage de réaction. Pat commence à éprouver du mépris pour son futur époux qui, sans avertir personne, décide d'acheter "la basse prairie", le ranch de l'institutrice, Julie Maragon (Jean Simmons), sujet de discorde entre les deux clans ennemis, car seul domaine où coule une rivière... 
 
   Un an avant "Ben-Hur" qui devait voir la consécration de Charlton Heston, William Wyler composait cette oeuvre étrange et passionnante qui tient davantage du drame psychologique que du western. Etrange, parce que nous sommes bien loin ici des chevauchées, poursuites et autres attaques de diligences qui fleurissaient à l'époque par l'entremise de John Wayne ou Randolph Scott ; étrange parce que, dans cette fresque de 160 minutes, le temps semble distendu, étiré, non pas comme il le sera plus tard dans les films de Sergio Leone, en tant qu'instantanés dilatés à l'extrême, mais comme une transcription symbolique de la lente transformation intérieure des êtres. Passionnant, parce que, sous ses dehors lisses, parfois compassés, sous l'apparence d'un scénario relativement banal et peu dense, à travers un style qui, en 2004, nous semble parfois à la limite du déclamatoire ou de l'emphatique, émergent de subtiles réflexions et une étude psychologique des personnages aussi discrète que raffinée. 
 
   Gregory Peck, acteur distingué, au port aristocratique, était, à l'évidence, le choix idéal pour incarner ce personnage anachronique dans l'ouest de l'époque. Moins encore pour son apparence extérieure que pour son comportement d'être évolué spirituellement. Dans un milieu où seule la force compte, où chacun, y compris les femmes comme Patricia, considère qu'un coup d'œil de travers, un mot insultant, nécessitent que le revolver soit dégainé, l'attitude profondément pacifiste de James fait l'effet d'un ovni. Trois qualificatifs peuvent le caractériser : dignité, humilité et droiture. Trois mots totalement inconnus dans ce contexte spatio-temporel. Et, paradoxalement, son absence d'action ou de réaction quasi permanente, va constituer le catalyseur de la transformation de ceux qui l'entourent. Grâce à son apparente passivité, les masques des protagonistes vont se fissurer et la réalité de chacun émerger. Il est un idéaliste, dont l'ostensible défaut de communication cache, en fait, une volonté de laisser l'autre révéler sa vraie nature. Dans son monde, l'amour, avec un grand A, et la confiance qui en est le corollaire, ne se prouvent pas par des actes extérieurs. Il sont ou ne sont pas. Si le doute s'introduit, le couperet tombe inéluctablement. La compromission n'a pas cours. Ce grand personnage distant, au visage presque impassible, étranger parachuté dans le monde codifié du western, peint avec une économie de moyens qui confine à l'ascétisme, constitue, en fait, l'un des tempéraments les plus passionnants que le genre ait produit.
   
Bernard Sellier