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Le guépard,
     (Il gattopardo),     1963, 
 
de : Luchino  Visconti, 
 
  avec : Burt Lancaster, Claudia Cardinale, Alain Delon, Paolo Stoppa, Romolo Valli, Terence Hill, Lucilla Morlacchi,
 
Musique : Nino Rota


   
Lire le poème ( CinéRime ) correspondant : ' Enfants de Zeus '

   
1860 en Sicile. Tandis que Garibaldi et ses chemises rouges débarquent et sèment la terreur, le Prince Don Fabrizio Salina (Burt Lancaster), accompagné de sa femme, de ses enfants, et de son "confesseur", le Père Pirrone (Romolo Valli), se rend, comme chaque année, à son palais de Donnafugata. Son neveu, Tancrède Falconeri (Alain Delon), dont la famille espérait jusqu'alors le mariage avec l'une des filles du Prince, Concetta (Lucilla Morlacchi), s'éprend de la resplendissante Angelica (Claudia Cardinale), fille du maire bourgeois de la ville, le richissime Don Calogero Sedara (Paolo Stoppa). Ancien partisan de Garibaldi, le jeune homme devient officier dans l'armée régulière du nouveau roi Victor Emmanuel de Savoie, lorsque celui-ci est plébiscité... 
 
  Une fois n'est pas coutume, commençons d'abord par ce qui fâche ! "Le Guépard" n'a vraiment pas de chance avec les supports vidéo. Après une version Laserdisc absolument calamiteuse du point de vue de l'image, recadrée, si j'ai bonne mémoire, c'est ici le son et, surtout, le doublage, qui sont atterrants. Je ne me souviens pas s'il était le même sur le LD, mais il se montre ici particulièrement médiocre et, par moments, à la limite du supportable ! Pour un film de cette qualité, qui n'a tout de même que quarante ans, on aurait pu espérer beaucoup mieux. Après tout, nombre d'oeuvres infiniment moins intéressantes et quelquefois bien plus anciennes, se voient redoublées et offrir un lifting visuel total. C'est loin d'être le cas ici ! 
 
  Habitués comme nous le sommes depuis quelques décennies aux réalisations de plus en plus speedées et proches des clips, la plongée dans l'univers de Visconti est un bain de jouvence. On y respire, on y prend le temps d'entrer dans l'intimité des personnages, de flâner dans la campagne sicilienne, de se fondre dans les silences. Certes, l'ennui pointe parfois le bout de son museau. Quelques scènes auraient peut-être gagné à être raccourcies. Mais cette lenteur solennelle, ce hiératisme noble et imposant, permettent à l'esprit qui les accepte de s'approcher, comme ce sera le cas dans "Mort à Venise", d'une méditation profonde sur la vie intérieure des êtres. "Le guépard" est bâti sur fond d'histoire. Mais le film repose principalement sur le personnage central, véritable soleil, de ce Prince, dont Burt Lancaster offre une incarnation magistrale et inoubliable. Etrange et ambigu personnage, que cet aristocrate tour à tour autoritaire, cassant, qui masque, avec le vernis de sa lignée, les profondes fêlures psychologiques qui le fragilisent mais ne l'abattent jamais. En équilibre instable entre deux mondes, il assiste avec tristesse au début du déclin de ce pouvoir raffiné et implacable des Nobles, mais, paradoxalement, il y participe d'une certaine manière, dans une sorte de suicide assumé. Une des phrases qu'il prononce synthétise, à elle seule, non seulement le personnage, mais la philosophie sombre qu'il a de l'avenir : "Il fallait bien que quelque chose change, pour que tout puisse rester comme avant"... 
 
  À côté de ce monument, volètent quelques délicieux papillons qui annoncent le renouveau de la société. Tancrède, bouillonnant, apparemment superficiel. Angelica, radieuse et annonciatrice de la future liberté de la femme, jusqu'alors réduite, comme l'épouse du Prince à prier "Jésus Marie" lorsqu'elle subit une relation sexuelle, ou comme celle de Don Calogero, à ne sortir que trois fois par semaine, à cinq heures du matin, pour la première messe ! Montée de la permissivité, ascension de la bourgeoisie dont la richesse pécuniaire forme une laque brillante sur le fond de vulgarité, d'arrogance et de bassesse, tout cela est abordé avec grandeur et distanciation, par Visconti dans cette oeuvre que trois substantifs pourraient qualifier : lenteur, dignité, majesté. 
 
   N'oublions pas la sublime musique de Nino Rota...
   
Bernard Sellier