Illusions perdues, film de Xavier Giannoli, commentaire

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Illusions perdues,
     2021, 
 
de : Xavier  Giannoli, 
 
  avec : Benjamin Voisin, Cécile de France, Vincent Lacoste, Xavier Dolan, Gérard Depardieu,  Salomé Dewaels,
 
Musique : Christophe Beaucarne


   
Ne pas lire avant d'avoir vu le film

  
Le jeune Lucien Chardon, qui se fait appeler de Rubempré (Benjamin Voisin), poète en herbe, gagne sa vie en étant ouvrier dans l'imprimerie de son beau-frère à Angoulême. Il rêve d'aller briller à Paris et l'occasion lui est offerte puisque Louise de Bargeton (Cécile de France), devenue sa maîtresse, s'y rend pour rejoindre sa cousine, la Marquise d'Espard (Jeanne Balibar), qui brille dans la haute société aristocratique. Mais Lucien fait tache dans ce milieu, et Louise se voit contrainte de rompre leur relation. Le jeune poète fait alors la connaissance d'un journaliste de son âge, Étienne Lousteau (Vincent Lacoste), qui est une star dans le milieu des petites parutions critiques et satiriques...

 Xavier Giannoli nous avait offert, il y a six ans, une belle reconstitution d'époque avec l'histoire touchante de «Marguerite», cette chanteuse à la voix catastrophique qui affichait des rêves de gloire. Il s'attaque ici à une œuvre imposante de Balzac qui comporte trois parties. La thématique de ces deux drames est très semblable, puisque chacun des deux personnages voit son idéalisme et ses ambitions artistiques se heurter à une réalité brutale et castratrice.

  Au premier abord, le résultat de ces «Illusions perdues» est impressionnant et plusieurs César, dont celui du meilleur film, ont récompensé sa brillance. Outre le charme et la richesse de la peinture de deux milieux opposés, artistique d'une part, aristocratique d'autre part, le régal naît à la fois des dialogues incisifs, spirituels, infiniment vivants, et d'une distribution idéale, dans laquelle se distingue un Benjamin Voisin que l'on ne connaissait pas. Grâce à son ingénuité naturelle, à l'arrivisme discret que lui offre le scénario, il se montre tout à fait convaincant dans l'incarnation de ce jeune poète qui, bouleversé par les mirages et les turpitudes morales de la vie artistique parisienne, perd progressivement sa simplicité provinciale, et sa pureté originelle. Il est merveilleusement entouré par des figures hautes en couleur, où se distinguent Dauriat (Gérard Depardieu), un éditeur mercantile qui ne lit jamais les livres qu'il publie, Étienne Lousteau, le journaliste qui oriente ses articles en fonction de la somme qui lui a été versée, Louise de Bargeton, condamnée par les lois de son milieu à faire taire ses sentiments, Singali (Jean-François Stévenin), dont la profession est de faire applaudir ou siffler les spectacles en fonction des montants qui lui sont versés, et la jeune Coralie (Salomé Dewaels), tendre amoureuse dont la carrière se voit brisée autant par la maladie que par l'infamie des soi-disant critiques d'art. 

  Je n'ai jamais lu le roman de Balzac, mal acceuilli lors de sa parution, et j'ignore donc si la transcription effectuée par Xavier Giannoli et ses scénaristes est fidèle à sa source littéraire. Ce qui est certain, c'est que la troisième partie de l'œuvre, intitulée «les souffrances de l'inventeur», située à Angoulême après le décès de Coralie, est occultée, et que la satire virulente du milieu des journalistes, uniquement intéressés par leur portefeuille, semble d'une actualité plus que brûlante. Si les dialogues comportaient quelques termes contemporains anglo-saxons, on pourrait même les appliquer ligne par ligne à une charge pamphlétaire et caricaturale actuelle contre les dérives que l'on connaît aujourd'hui. Cette actualisation, certes assez outrée, ne détonne cependant pas tant elle s'insère de manière naturelle dans cette folie libertaire qui secoue le monde parisien de la Restauration à travers ces parutions satiriques aux titres parlants ('Satan', par exemple). Il est assez regrettable, tout au moins au début, de voir une place importante accordée à la voix off qui installe Lucien dans les différentes situations qu'il rencontre au fur et à mesure de son cheminement existentiel. Mais cette gêne disparaît rapidement, balayée par la vivacité du récit et les multiples intrigues qui se succèdent à un rythme soutenu. Nous sommes bien loin ici de l'insipidité que le critique de l'époque, Jules Janin, reprochait à Balzac, ajoutant que «Jamais en effet, et à aucune époque de son talent, la pensée de M. de Balzac n'a été plus diffuse, jamais son invention n'a été plus languissante, jamais son style n'a été plus incorrect...»

 Une création riche et enthousiasmante.
   
Bernard Sellier