Marguerite, film de Xavier Giannoli, commentaire

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Marguerite,
     2015, 
 
de : Xavier  Giannoli, 
 
  avec : Catherine Frot, André Marcon, Michel Fau, Christa Theret, Denis Mpunga,  Sylvain Dieuaide,
 
Musique : Ronan Maillard, Leoncavallo, Bellini...


   
Ne pas lire avant d'avoir vu le film

   
1920. Marguerite Dumont (Catherine Frot) est devenue baronne par son mariage avec Georges (André Marcon). Elle est obsédée par l'opéra et se croit une soprano colorature de premier plan. Elle donne régulièrement des récitals pour le cercle Amadeus, au profit des orphelins de guerre. Le problème, c'est que personne n'ose lui dire que ses prestations sont catastrophiques...

    Le film est inspiré de l'histoire de la véritable Florence Foster Jenkins, qui sera reprise par Stephen Frears l'année suivante. Le réalisateur a quelque peu décalé le récit en l'intégrant dans la douloureuse période qui a suivi la fin de la première guerre mondiale. La reconstitution d'époque et l'atmosphère sont tout à fait convaincantes et soignées. C'est à une sorte de 'Disaster artist' dans le domaine vocal que nous assistons. Le jeune baronne est passionnée par l'art lyrique. Jusque là tout va bien. Mais elle ne s'arrête pas à cette simple attirance et sa vie entière est conditionnée par son engouement. Elle collectionne les tenues de scène, les accessoires, et se voit comme une artiste accomplie. Malheureusement la voix ne suit pas et ce ne sont pas des vocalises qu'elle émet, mais des hurlements dissonants. Pas plus son mari que les membres du cercle Amadeus n'osent lui révéler la vérité.

    Le récit suit la baronne sur cette pente d'autant plus dangereuse qu'elle envisage de se produire à l'Opéra. En fait, cette monomanie dépasse largement la simple obsession pour le chant. À travers le personnage de Marguerite, c'est le symbole de l'émancipation de la femme qui est mis en avant. Sa passion, véritable support de sa vie, devient le levier capable de lui permettre d'exister dans un monde dominé par les hommes. Catherine Frot, toujours éblouissante, exprime à la perfection ce mélange de fragilité et de détermination. Elle est entourée par des personnalités parfois hautes en couleurs (le ténor Atos Pezzini (Michel Fau)), ou encore le serviteur Madelbos (Denis Mpunga), véritable pivot de l'observation de la descente aux enfers vécue par Marguerite. Il est le pendant, dans le domaine de la photographie, de sa maîtresse, et son ambiguïté associée à une admiration presque morbide sont une des attractions majeures de l'oeuvre. Il est un peu regrettable que certains seconds rôles soient sous-employés, ce qui est par exemple le cas de la jeune cantatrice Hazel (Christa Theret) ou encore du journaliste Lucien Beaumont (Sylvain Dieuaide).

   Il n'en demeure pas moins que cette observation empathique d'une monomanie faramineuse est de bout en bout aussi captivante que touchante. Parvenir à rendre cette folie, a priori génératrice d'un ridicule total, avec bienveillance et humanité, puis broyer le coeur lorsque l'inévitable arrive, est une remarquable réussite. Le film épouse en fait l'attitude de Georges, le mari, qui, sous des dehors d'indifférence et d'agacement, dissimule en fait une tendresse intense pour son épouse.
   
Bernard Sellier