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I.P.5, l'île aux pachydermes,
       1992, 
 
de : Jean-Jacques  Beineix, 
 
  avec : Yves Montand, Olivier Martinez, Géraldine Pailhas, Colette Renard, Sekkou Sall, Arlette Didier,  
 
Musique : Gabriel Yared

 
   
Tony (Olivier Martinez) est un taggeur de talent. Son copain Jockey (Sekkou Sall), un jeune noir d'une dizaine d'années, passe son temps à récupérer son père, Emile (Sotigui Kouyaté), en coma éthylique. Un soir, il est obligé d'appeler une infirmière de garde, Gloria (Géraldine Pailhas). Tony en tombe immédiatement amoureux, mais se fait éjecter sans ménagements. Obligé par une bande de skinheads de conduire à Grenoble une camionnette de nains de jardin, il décide en cours de route de laisser tomber la mission, et de gagner Toulouse où Gloria est partie. La seconde voiture qu'il vole en compagnie de Jockey renferme un étrange vieux bonhomme qui dormait à l'arrière. Il s'agit de Léon Marcel (Yves Montand), en quête de l'île aux pachydermes... 
 
   On retrouve sans peine dans ce film les deux grandes thèmes développés six ans plus tôt, dans "37°2, le matin" : à savoir l'amour passionné et la folie. Mais ce cocktail qui, dans mes souvenirs, donnait un résultat merveilleux et envoûtant avec le tandem Béatrice Dalle - Jean-Hugues Anglade, se révèle ici pour le moins désarçonnant. Si la femme supposée idéale est toujours le moteur de la quête, elle est dans cette oeuvre quasiment réduite à un archétype abstrait. Même si sa courte présence à la fin permet au réalisateur de nous offrir une belle scène sensible entre Jojo et Léon. Quant à l'amoureux obsédé, en l'occurrence Tony, il se résume, extérieurement, à un taggeur agressif (mais ses réalisations valent le coup d'oeil !) incapable d'exprimer vécu et ressenti autrement que par le jaillissement de la peinture ou des paroles du genre "connasse"... Autant dire que son personnage n'attire pas franchement la sympathie au premier abord. Heureusement, il y a, dans son ombre, le petit Jockey (admirablement rendu par Sekkou Sall, confondant de naturel), dont le seul désir est de voir la neige. Beaucoup moins monolithique que son compagnon, plus malléable, il apporte une petite bouffée d'humour et d'oxygène à ce duo. Mais, entre skinheads, père alcoolique et nains de jardin à transporter sous peine de mort, ce n'est pas vraiment léger léger! 
 
   Et puis, tout de même, apparaît Léon. L'énigmatique Léon ! Après avoir inscrit son récit dans le noir des banlieues et le désespoir de ceux qui y sont ensevelis, Beineix apporte une pléiade de bouffées enivrantes. Léon se faisant rafraîchir par une "pluie lustrale" dans une aura blanche digne du Christ, Léon marchant sur les eaux d'un lac (enfin, presque...), Léon communiant avec la force vitale des astres et guérissant par magnétisme, Léon racontant sa rencontre avec les nymphes... On se demande ce qui arrive ! Message panthéiste, quête mystique, Léon serait-il par chance un Grand Initié ? En fait, le soufflé retombe très vite. Peut-être cela vaut-il mieux, d'ailleurs. Car le ridicule commençait à sérieusement prendre du galon ! En fait, Léon n'est qu'un homme (ouf !) mais son pouvoir, pour modeste qu'il soit, permettra quand même à ses deux compagnons de réaliser leur propre quête et, surtout, en ce qui concerne Tony, de déverrouiller son coeur. Ce parcours évolutif au contact d'un être qui, pour eux, était le contraire de leurs modèles, est, dans son principe, attirant. Le résultat, lui, laisse perplexe. C'est là que la sensibilité de chacun entrera plus ou moins en résonance avec le traitement de l'histoire. Tour à tour saugrenu, lyrique, sensible, naïf, agaçant, parfois ennuyeux, flirtant avec le réalisme, l'onirisme, la poésie, l'illusion, l'absolu, le film mêle d'innombrables composantes dont certaines toucheront tandis que d'autres irriteront.  
 
   Pour ma part, malgré le développement progressif de l'humanité des personnages, l'ensemble me laisse une impression de froideur généralisée, qui empêche l'immersion intérieure dans cet itinéraire initiatique pourtant aspirateur de sympathie.
   
Bernard Sellier