37°2, le matin, film de Jean Jacques Beineix, commentaire

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37°2, le matin,
       1986, 
 
de : Jean-Jacques  Beineix, 
 
  avec : Béatrice Dalle, Jean-Hugues Anglade, Gérard Darmon, Clémentine Célarié, Vincent Lindon, Jean-Pierre Bisson, Dominique Pinon, Consuelo de Haviland,  
 
Musique : Gabriel Yared

 
  
Zorg (Jean-Hugues Anglade) vit près de Gruissan avec Betty (Béatrice Dalle), rencontrée une semaine plus tôt. Ils est dépanneur. A la suite d'une altercation violente avec son propriétaire, les deux jeunes gens gagnent la banlieue parisienne. Ils logent dans un petit hôtel abandonné, au bord de la Marne, qui appartient à une amie, Lisa (Consuelo de Haviland). Betty s'est mis en tête d'envoyer à tous les éditeurs un manuscrit, écrit jadis par Zorg, qu'elle a tapé intégralement, certaine qu'il s'agit d'une oeuvre géniale. Mais les réponses positives tardent à arriver ! Lisa, veuve depuis quelques années, rencontre le propriétaire d'une pizzeria, Eddy (Gérard Darmon). Il apprend un jour le décès de sa mère, qui tenait, à Marvejols, un magasin de pianos. Ses amis l'accompagnent à l'enterrement. Il propose à Zorg de tenir la boutique avec Betty... 
 
 Jean-Jacques Beineix semble fonctionner à contre-courant. Son dernier film, "Mortel transfert", était un OFDI (objet filmique difficilement intégrable) dans lequel il était bien difficile de trouver quelques atomes d'intérêt. Son précédent, "I.P.5", tenait du soufflé mystique refroidi, mais offrait quelques instants de magie. Je n'ai jamais vu "Roselyne et les lions". Et puis, juste avant, apparaissait cette merveille qui, à mon sens, n'a pas perdu , en vingt ans, une once de son charme mélancolique, une étincelle de la passion désespérée qu'elle irradie dans chaque plan, tout au long de ces trois heures incandescentes. Mélange unique de rires et de larmes, conjonction inspirée de spontanéité, de poésie, de sincérité, équilibre miraculeux entre gravité et légèreté, entre lumière et obscurité, entre prosaïsme et lyrisme, transcendée par deux acteurs investis à mille % dans leurs personnages, l'oeuvre est de bout en bout d'une évidence poignante. La fantaisie qui la parsème, la tragédie qui pointe à maintes reprises avant l'apocalypse finale, la joie qui l'émaille (certaines scènes sont hilarantes, à l'image de celle où Eddy s'habille pour l'enterrement de sa mère avec une cravate noire décorée d'une blonde nue !), les délires ponctuels, les personnages lunaires (Vincent Lindon en gendarme tantôt agressif, tantôt troubadour), s'amalgament avec une harmonie confondante. Le monde dans lequel évoluent Zorg et Betty tient à la fois de la réalité quotidienne et de l'imaginaire cosmique. Et, dans le cas présent, ces deux univers antinomiques semblent se fondre avec grâce, s'épouser dans une symphonie pathétique. 
 
 La personnalité de Betty, tour à tour enfant radieuse, mythomane inquiétante, dépressive hystérique, écorchée vive, courant sans cesse après un idéal inatteignable, capable de s'investir corps et âme pour admirer celui qu'elle idolâtre, se heurtant, telle un papillon déboussolé, aux murs de la vie terrestre, est de celles qui marquent l'émotionnel du spectateur de manière indélébile. La performance de Jean-Hugues Anglade, bien que moins spectaculaire, n'en est pas moins admirable de justesse inspirée. Chant d'amour intense, quête de la passion absolue, celle qui accepte l'autre tel qu'il est, mais aussi, celle qui le projette tel qu'il ne sera jamais, cette tragédie est gorgée d'une chaleur, d'une tendresse, d'une vie forcenées. Sans parler de l'atmosphère visuelle (aussi bien que musicale) envoûtante, aux couleurs finement distillées, qui évolue, dans un équilibre permanent, entre le monde physique et le pays imaginaire, de l'autre côté du miroir. 
 
 N.B. La version commentée est celle de 3h.

   
Bernard Sellier