La Ligne verte, film de Frank Darabont, commentaire

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La ligne verte,
       (The green mile),       1999, 
 
de : Frank  Darabont, 
 
  avec : Tom Hanks, David Morse, Bonnie Hunt, Michael Clarke Duncan, James Cromwell, Michael Jeter, Graham Greene, Gary Sinise,
 
Musique : Thomas Newman

 
   
Dans une maison de retraite, de nos jours, Paul Edgecomb (Tom Hanks) se souvient. En 1935, à 44 ans, en pleine crise économique, il était gardien chef au pénitencier de Cold Mountain, dans le bloc E des condamnés à mort. Un jour, est amené un géant noir, John Coffey (Michael Clarke Duncan), condamné à mort pour le meurtre de deux fillettes. L'homme est étrangement calme et, surtout, doté de pouvoirs surnaturels... 
 
   Cinq ans après son remarquable film, "Les Évadés", Frank Darabont réussit l'exploit de renouveler, à un niveau plus exceptionnel encore, sa performance précédente. Inspirée elle aussi d'un ouvrage de Stephen King, "La ligne verte" est un miracle permanent, servi, qui plus est, par des acteurs principaux en état de grâce émotionnelle totale.  
 
   Tout comme le faisait magistralement Tim Robbins dans "La dernière marche", le réalisateur parvient ici à transcender le niveau primaire de l'histoire, le débat pourtant capital sur l'erreur judiciaire ou la (non) justification de la peine de mort, pour accéder au plan supérieur de la tragédie humaine universelle. Celle de la descente dans l'incarnation où nous perdons nos repères et voguons au gré de nos fantasmes, de nos capacités latentes ou de nos pulsions incontrôlées, ballottant sans cesse entre un bien et un mal intensément présents dans notre univers, et pourtant illusoires dans l'absolu.  
 
   Bien plus qu'un récit sur la vie en huis-clos d'un quartier pénitentiaire où les condamnés à mort vivent leurs dernières heures, avec sa routine, ses peurs, ses moments de sauvagerie, ses rituels macabres, ses scènes insoutenables (l'exécution de Eduard Delacroix (Michael Jeter)), ses personnages extrêmes (l'odieux Percy Wetmore (Doug Hutchison), refoulé, lâche et sadique, ou 'Wild Bill' Wharton (Sam Rockwell), criminel déjanté), nous avons devant les yeux une déchirante illustration du pouvoir de compassion. 
 
   "Chronique d'un miracle ordinaire" ou "chronique de souffrances extraordinaires". Tels pourraient être les titres de cette oeuvre qui, à travers une quasi unité de temps, d'espace et d'action, décortique avec une insondable humanité et une pudeur sans égale le drame d'un être simple, doté, par une volonté mystérieuse (si l'on est "croyant"), ou par un hasard pervers (si on ne l'est pas), d'un pouvoir immense qui devient une calamité parce qu'il le subit totalement sans en maîtriser aucun élément. John Coffey possède, comme certains guérisseurs ou magnétiseurs, la capacité de capter ce que la médecine chinoise nomme "énergies perverses" et de rendre aux cellules désorganisées l'harmonie dont elles n'auraient jamais dû se départir. Mais cette possibilité, non canalisée, fait de lui une éponge qui emmagasine tout ce que l'extérieur lui envoie, que ce soit les visions ou les maladies. C'est ce qui fait tout l'intérêt de techniques telles le "reiki", dans laquelle le thérapeute devient un canal de lumière curative et non un réceptacle passif ou un dispensateur d'énergie personnelle. Le véritable guérisseur n'est jamais épuisé après un soin aux malades, parce qu'il ne donne rien qui vienne de lui. Il n'est qu'un transmetteur. Bien évidemment, ce type de "pouvoir" fera sourire ceux qui ne l'ont jamais expérimenté. Les autres comprendront le drame qui peut être vécu par le malheureux John, que certains qualifieraient hâtivement de "béni", préférant quitter ce monde qui l'assaille de sa négativité, plutôt que de continuer à endurer la sensation de "bouts de verre dans la tête", comme il exprime lui-même maladroitement le ressenti de ses voyances involontaires.  
 
   Répertorier ou analyser les moments forts de cette oeuvre qui dure trois heures et paraît pourtant concise, obligerait à s'arrêter sur chaque plan, chaque idée, chaque geste, chaque émotion. De la première à la dernière minute, le cœur du spectateur est saisi par un étau qui ne le lâche plus. Est-il possible d'effacer de sa mémoire le visage du géant Coffey, acceptant comme un enfant le sort terrible qui lui a été octroyé, prêt à donner encore la vie alors que la société est sur le point de lui voler la sienne, ou celui de Tom Hanks, plus intensément expressif encore qu'à son habitude, si cela est possible, se questionnant avec angoisse sur l'irréparable qu'il doit commettre : "accepter d'assassiner un des miracles que Dieu a produits" ? 
 
   Un film indispensable, bouleversant, sublime, dont on ressort grandi, l'âme à la fois déchirée et transfigurée, le cœur tellement lourd, et cependant embrasé d'amour...
   
Bernard Sellier