Monsieur Batignole, film de Gérard Jugnot, commentaire

  Bienvenue sur le site d'un manipulateur de mots, passionné d'écriture, de cinéma, de musique, d'ésotérisme...     

Monsieur Batignole,
      2002, 
 
de : Gérard  Jugnot, 
 
  avec : Gérard Jugnot, Jules Sitruk, Jean-Paul Rouve, Alexia Portal, Michèle Garcia, Hubert Saint-Macary, Philippe du Janerand,  
 
Musique : Khalil Chahine


 
Edmond Batignole (Gérard Jugnot), charcutier-traiteur à Paris, vit avec sa femme Marguerite (Michèle Garcia) et sa fille Micheline (Alexia Portal) dans un modeste appartement attenant au magasin. Le docteur Bernstein, chirurgien, occupe un luxueux appartement, dans le même immeuble, au second étage. Alors qu'il s'apprête à quitter précipitamment son domicile avec sa femme et ses deux fils, tous sont arrêtés par la police, prévenue par l'ami de Micheline, Pierre-Jean Lamour (Jean-Paul Rouve). Celui-ci, fort bien en cour auprès des autorités allemandes, obtient que la famille Batignole "hérite" de l'appartement vacant. Mais, quelques jours plus tard, Edmond trouve à sa porte l'un des fils du médecin, Simon (Jules Sitruk), qui a réussi à s'échapper... 
 
 Les grandes théories humanistes ou les plaidoyers généreux ne sont pas toujours les plus efficaces pour dénoncer l'horreur et la barbarie. Témoin cette histoire toute simple, qui n'a d'autre prétention que d'éveiller les consciences en exposant le pouvoir mortifère de la passivité. Et ce dessein est loin d'être aussi anodin qu'on pourrait le penser au premier abord. Sur un thème qui évoque largement un "As des as" purgé du gros humour qui tache, Gérard Jugnot brosse avec sympathie, mais sans complaisance, l'évolution psychologique d'un homme banalement profiteur. A l'origine "chronique de la lâcheté ordinaire", la narration, qui amalgame habilement gravité et légèreté, s'oriente, comme on aurait pu s'en douter facilement (mais qui s'en plaidra ?), vers la "chronique d'un courage extraordinaire". Car si, pour le spectateur (supposé humain) confortablement installé dans son fauteuil, il paraît évident que Batignole ne fait que son devoir, il est bon de tempérer l'apparente facilité de cette évidence. Pour nombre de Français à cette époque, survivre était synonyme de courber l'échine. Il y avait, bien sûr, les (im)purs et durs, façon Pierre-Jean (excellent Jean-Pierre Rouve, qui nous gratifie de moments aussi délicieux que nauséeux). Ceux-là avaient choisi leur camp, c'est-à-dire le service des Nazis. Mais l'immense majorité était composée de Batignoles : à savoir des individus peureux qui ne voulaient surtout pas savoir ce qui se passait. D'autant plus que cette myopie ne pouvait que remplir leur porte-monnaie ou, tout au moins, leur permettre d'éviter les orages. Edmond n'est pas un homme foncièrement mauvais. La lâcheté, l'égoïsme, l'opportunisme qu'il manifeste, ne sont que des carapaces de protection. Cependant, lorsque les événements vont faire voler en éclat ces masques, il ne devient pas pour autant un héros. Sa conscience intérieure n'est pas encore assez puissante pour dicter sa loi. Ce sont les secousses du destin qui aiguillonnent son comportement pour l'orienter vers l'altruisme. Sans grandes démonstrations, sans esbroufe, Gérard Jugnot plonge ses personnages dans des situations tragiquement (voire parfois comiquement) banales, qui génèrent une émotion d'autant plus profonde qu'elle n'est jamais sollicitée artificiellement. Les "bons" mots ne s'imposent jamais, l'humour sait se faire incisif mais léger (la rencontre de Pierre-Jean et de Sacha Guitry est brève mais jouissive), les personnalités sonnent juste, et le rythme de l'histoire ne faiblit jamais. L'abomination n'est jamais montrée, et, pourtant, son ombre noire ne quitte pas un instant l'écran. C'est là une grande marque d'intelligence et de sincère sensibilité. 
 
 Une oeuvre belle et poignante, dont on ressort le coeur ouvert et l'âme en joie.
   
Bernard Sellier