Bienvenue sur le site d'un manipulateur de mots, passionné d'écriture, de cinéma, de musique, d'ésotérisme...     

Nos meilleures années,
      (La Meglio Gioventù),      2003,  
 
de : Marco Tullio  Giordana, 
 
  avec : Alessio Boni, Luigi Lo Cascio, Adriana Asti, Sonia Bergamasco,
 
Musique : ???

   
   
1966. Nicola Carati (Luigi Lo Cascio) est étudiant en médecine. Son frère, Matteo (Alessio Boni) étudie la littérature. Ils vivent à Rome et sortent fréquemment avec deux copains, Carlo Tommasi (Fabrizio Gifuni) et Berto (Giovanni Scifoni). Tous quatre ont prévu, après leurs examens, de partir en vacances dans les pays nordiques. Mais Matteo fait la connaissance d'une jeune fille, Giorgia (Jasmine Trinca), hospitalisée dans un établissement psychiatrique et soumise à des électrochocs. Il décide de la retirer subrepticement et de la ramener à son père, qui habite désormais Ravenne. Nicola accepte de l'accompagner. En cours de route, Giorgia est arrêtée par la police. Les deux frères, impuissants, se séparent. Nicola part seul en Norvège, où il travaille plusieurs mois comme ouvrier bûcheron. Matteo, qui a échoué à son examen universitaire, s'engage dans l'armée. 1968 arrive avec sa folie libertaire. Les deux frères se retrouvent fortuitement. Nicola vit désormais avec Giulia Monfalco (Sonia Bergamasco), pianiste et mathématicienne, proche intellectuellement des étudiants révoltés. Matteo, lui, souffre de voir son ami Luigino paralysé, suite aux coups reçus dans une confrontation avec les insurgés... 
 
   Le handicap majeur des films est leur brièveté. Lorsque nous entrons dans un roman, même court, le choix nous est accordé : lire plus ou moins rapidement, s'autoriser des pauses multiples ; cette liberté donne le temps à notre mental d'être apprivoisé par les personnages, de colorer notre réceptivité à leurs plaisirs ou souffrances par une sensibilité, un panel d'émotions, qui ont tout le temps de prendre leur place. La vision d'un film nous interdit cette prise de contact à vitesse variable. L'absorption se fait d'un trait, sous peine de cassure dommageable dans l'impact du déroulement narratif. Nous voici donc en présence d'êtres inconnus, souvent totalement étrangers à notre monde, parfois nombreux, avec lesquels nous devons nous familiariser, qui ont pour mission de nous faire pénétrer dans leur vécu ponctuel et de nous émouvoir. A peine commençons-nous à vibrer, que les cent minutes, gorgées d'événements divers, de digressions nombreuses, sont terminées ! Loin d'entrer en sympathie avec ceux qui sont apparus sur l'écran, notre ressenti a souvent effleuré seulement leur ombre... 
 
   L'un des éléments déterminants de la réussite d'un film, réside dans sa capacité à savoir créer un pont de communication entre les personnages et les spectateurs. L'envoûtement exceptionnel que dégage, par exemple (et à mon sens, bien sûr !), "Il était une fois en Amérique", tient sans doute à la savante imbrication du vécu de Noodles à différentes périodes. Le film dure 4 heures, certes, et cet aspect technique n'est pas négligeable. Mais c'est surtout l'élément "multi-époques vitales" qui génère l'intimité profonde que l'on peut ressentir : Noodles n'est pas saisi dans le créneau restreint d'une étape personnelle mouvementée, dont l'avant et l'après nous sont dissimulés. Il est enfant, adolescent, jeune adulte, presque vieillard. Ce sont tous ses âges que nous parcourons, qui défilent devant nous, et auxquels nous sommes sensibilisés, donnant l'impression que nous avons l'opportunité de partager tout ce qu'il a été. 
 
   Cette longue digression pour en venir à l'aspect positif des téléfilms, qui sont, bien souvent, considérés comme des sous-films. Ce mépris est parfois justifié, lorsque la durée devient un but, provoquant répétitions ou délayages. Dans le cas présent, six heures semblent une durée bien dérisoire, tant l'attachement que nous éprouvons pour tous les personnages de cette oeuvre prend rapidement l'aspect d'un partage privilégié, d'une affection intime. Historiquement, plusieurs décennies sont balayées par le récit : les inondations catastrophiques de Florence, l'élan libertaire de 1968, la sombre période des "Brigades rouges", l'assassinat des juges en Sicile... Mais le réalisateur ne s'appesantit à aucun moment sur l'aspect documentaire. La multitude des changements sociaux ne donne jamais l'impression d'un parachutage artificiel, manipulé, ne prend jamais le chemin d'une simplification arbitraire. Tous les événements sont une toile de fond sur laquelle évoluent des individus simples, qui pourraient être nos amis, dont on suit l'évolution avec l'émotion quotidienne qui nous étreint lorsque l'un de nos proches partage ses joies ou ses peines. Avec une fluidité remarquable, la narration suit les méandres évolutifs de chacun, glisse sans heurt d'une époque à une autre, caresse avec sensibilité et tendresse les transformations personnelles, les penchants, les désirs, les choix cruciaux, les dérives mentales, passe progressivement des aspirations instinctives de la jeunesse aux élans de l'âme qui, dans la seconde partie, conduisent ceux qui ont su grandir malgré les épreuves, ou à cause d'elles, vers une harmonie intérieure capable de guérir la descendance.  
 
   Matteo, particulièrement émouvant, incapable de trouver sa place harmonieuse dans le cercle de famille, Nicola et ses idéaux humanitaires, Giulia, écartelée intérieurement entre ses pulsions extrêmes, Giorgia, la belle malade fermée au monde, Carlo, le brillant économiste, Mirella Utano (Maya Sansa) et la lumière qui transperce son regard, Sarah (Camilla Filippi), capable de l'un des actes les plus difficiles qui soient à notre ego : le pardon... Tous, qu'ils soient d'ombre ou de lumière, sont peints avec une spontanéité, un respect, une tendresse, une générosité, un naturel, qui les rendent immédiatement sympathiques, au sens propre du terme. Si nous vibrons aussi facilement à toute la gamme de leurs émotions, c'est parce qu'ils sont observés avec les yeux du cœur. Pas d'esbroufe, pas de grands élans lyriques, pas de réalisation clinquante, la communion demeure toujours au niveau de l'expérience intime, rendant l'assimilation des sentiments vécus par l'ensemble des protagonistes, quels que soient leurs tendances ou tempéraments, immédiatement possible par tout humain normalement ouvert à l'émotion et à autrui.  
Un hymne à la Vie merveilleux, qui recèle une qualité aussi précieuse qu'exceptionnelle : la capacité de faire germer, à travers les deuils, les souffrances, les désespoirs, les amours avortées, qui sont le lot de tout humain, la vibration du bonheur dans l'âme de celui qui accepte de résonner avec lui.  
 
   Un léger bémol, bien secondaire, sur le doublage de certains personnages (le père de famille, Angelo, par exemple), qui manque de naturel et semble plaqué artificiellement sur la bande originale.
   
Bernard Sellier