Monsieur Hire (Michel Simon) est un homme solitaire, misanthrope, qui est méprisé et craint par la société qui l'entoure. Sa principale passion : la photographie. Un jour, Alice (Viviane Romance) arrive dans le quartier après avoir purgé un an de prison à la place de son amant Alfred (Paul Bernard). Elle le retrouve avec passion mais, par prudence vis à vis de la police, ils décident de simuler une première rencontre. Monsieur Hire, éperdument amoureux de la jeune femme, la met en garde contre cet homme qu'il sait être l'assassin de Mademoiselle Noblet, récemment trouvée morte dans un terrain vague.
Ce film, tiré, tout comme le "Monsieur Hire" de Patrice Leconte, du roman de Simenon : "les fiançailles de M. Hire", nous confronte à un univers totalement différent de celui où évoluait Michel Blanc. Au point que l'on peut même se demander si l'origine est commune. Ce qui, chez Leconte, ressemblait à une étude d'entomologiste presque exclusivement centrée sur un personnage désespérément renfermé sur sa coquille, à la limite de l'autisme, devient ici la vision d'un être certes solitaire, mais faisant partie intégrante d'un monde grouillant, cynique, sauvage où la bêtise et la méchanceté règnent en maîtres à penser.
Monsieur Hire, transfiguré par un Michel Simon impérial et sobre, figure un humaniste écoeuré par le monde abject qui l'environne, qui se complait à en photographier l'horreur afin de ne plus jamais s'apitoyer et redevenir la victime qu'il a été. Ce qui ne l'empêche pas de se consacrer en secret, sous le pseudonyme de Varga, à aider psychologiquement ceux qui lui en font la demande.
A l'opposé encore du film de P. Leconte, le trio central, composé de Hire, d'Alice et d'Alfred est en équilibre permanent, ce qui modifie totalement la manipulation sentimentale qui est le ressort principal de l'intrigue, faisant de la jeune femme une passionaria, une garce odieuse à l'égal de son amant. Le processus d'enjôlement du malheureux Hire se déroule alors selon un crescendo logique, inéluctable, qui culmine, avec justesse, sur ce finale apocalyptique qui est une apothéose de l'horreur humaine.
Même s'il est à coup sûr le moteur central du drame, Michel Simon n'apparaît en fait que comme un des rouages du groupe social qui constitue un personnage à part entière. Julien Duvivier, dont on connaît la noirceur et qui en donne ici une leçon magistrale, parvient à un équilibre exemplaire entre humour et tragédie, entre intimisme et mouvements de foule, insufflant à sa fresque une dimension humaine synthétique et grandiose. Il scrute l'essentiel, le mot, le geste indispensables, installant chaque plan dans une urgence implacable. A-t-on un jour disséqué avec autant de virulence, de vivacité et d'économie de moyens le processus de la stupidité humaine métamorphosant des commerçants, certes pas spécialement intelligents, mais relativement paisibles et moutonnants, en loups féroces et sanguinaires ?
Il serait aussi injuste d'oublier le symbolisme qui sous-tend cette tragédie. Cette foire avec flonflons et insouciance qui accompagne en fond cette valse dramatique des pantins. Et enfin cet ultime pied de nez tragi-comique : le chanteur des rues entonnant sa mélodie : "l'amour c'est la beauté du monde" tandis que l'on emmène le cadavre de Monsieur Hire...